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Sadiq détestait les enfants. Mais vraiment. Pas comme lorsqu'on fait un petit rictus en disant "Bof, moi, les enfants..." Non. Lui, il les détestait, comme s'il s'agissait de la pire espèce sur terre, du fléau dont on ne peut être sauvé que par la prière désespérée.

Et comble de l'ironie, l'Europe en regorgeait. Lui qui, à son jeune âge pourtant, s'était attendu à trouver des nations féroces prêtes à lui faire face... hé bien non, celles-ci avaient tiré leur révérence à leur descendance encore bien trop jeune face à lui - qui, pourtant, n'était pas si vieux à l'époque.

Mais ce qu'il fallait savoir, c'était que s'il détestait les enfants, ceux-ci semblaient bien le lui rendre ; du moins en témoignait le regard meurtrier que lui lançait la toute petite nation face à lui, envahie il y a peu - et sa première grande victoire à vrai dire.

Il avait juste la même bouille que sa mère. En plus boursoufflé et rougeaud. Parce que non seulement c'était chiant un môme, mais en plus c'était d'une laideur assez fabuleuse. Mais on reconnaissait bien les traits maternels quand même. Une bien belle femme que la Grèce Antique. Avec son regard calme, luisant de sagesse, sa civilisation très avancée et son arrogance de femme qui a du pouvoir.

Dommage qu'il ai dû mettre fin à ses jours. Elle aurait fait une merveilleuse concubine. Une place de choix dans son harem de jeune homme aux hormones en furie. La plus belle, la divine au milieu des autres.

Mais elle avait refusé de faire partie de son futur empire. Car il le savait, il irait loin, c'était certain. Mais elle ne l'avait pas cru. Elle s'était moquée, l'avait humilié, traité de gamin. Croyez pourtant qu'il l'aimait, cette femme. Mais il ne s'était pas contrôlé. Et Constantinople était tombée entre ses mains ensanglantées.

Toujours était-il qu'il avait à présent une espèce de sous-nation devant lui, enroulé dans les vêtements qu'il lui avait offert - pour fêter son entrée dans EL BIG EMPIRE ottoman... qui venait de naître et dont ils étaient les seuls membres - et qui le toisait comme s'il s'attendait à un mauvais coup de sa part.

A vrai dire, bras croisés, bien habillé, à dominer de toute sa hauteur ce p'tit bout qui était là depuis quelques temps, Sadiq commençait à comprendre les difficultés de s'occuper d'un enfant. Pire encore lorsque celui-ci vous déteste - et réciproquement.

- Tu vas aller te laver. Tout de suite, j'ai dis.

Il pouvait fondre devant n'importe quel plat à base de sucre, mais gardait toujours une expression dure et sèche devant la tête d'un bambin aux grands yeux. Il ne manquerait plus que le puceron se mette à faire la loi. Et il resterait là, prêt à lever la main sur lui s'il ne lui obéissait pas.

Parce que, hey. Sadiq était aussi un enfant, finalement. Et il ne pouvait s'occuper d'un autre enfant qu'avec beaucoup de maladresse.

Le jeune turc n'avait pas la patience infuse. C'était un de ces défauts qui, avec le temps et l'expérience, s'atténue pour ne réapparaître qu'en temps de crise grave, et qui devait l'inciter plus tard à hausser les épaules, se dire qu'il aurait tout le temps d'y songer, et d'aller se détendre sur ses coussins avec une bonne shisha.

Mais Sadiq n'avait ni l'expérience ni le temps derrière lui pour avoir ce genre de réaction. Et voir un gamin faire fonctionner sa machine à larmes devant lui, ça lui mettait les nerfs plus qu'autre chose. Quoi, c'était pas assez clair ? Avec ce qu'il lui demandait, il avait le temps de verser une larme ? C'était pas une question. Et il irait au bain de gré ou de force, pas de morveux sans hygiène chez lui. C'était sans doute la règle numéro 3 de la maison - après "on n'arrache pas les tulipes dans le jardin de Sadiq" et "on ne mange pas pas les sucreries de Sadiq".

Il aurait sans doute eut le temps de dire quelque chose - ou de hausser le ton - si le gosse n'avait pas eut le réaction typique de tous les sales mômes auxquels Sadiq avait eu à faire, en l’occurrence, un bon coup de pied dans le tibia. A croire que sa jambe était un aimant à chaussures. Ou alors les mômes avaient capté qu'il ne fallait pas une très grande force ni viser trop haut pour faire grimacer un homme de douleur ? Merde quoi, un coup dans le tibia, ça fait aussi mal que de se cogner le petit orteil contre un meuble - bon pas à ce point parce que là c'est quand même la pire torture au monde.

Alors il grimaça dans un gémissement de douleur et se mit à clopiner un instant, ne pouvant qu'observer le grec prendre la fuite sur ses petites jambes potelées. Moment de solitude extrême. Heureusement que personne n'était là pour le voir clopiner comme un idiot.

Il se reprit et partit illico à la poursuite du gamin en frappant du poing contre un mur. Non mais. Ce n'était pas un gamin qui allait faire la loi quand même. Mais il devait reconnaître qu'il n'avait pas froid aux yeux. Et qu'il détalait vite. Et que le dédale du palais n'allait pas lui faciliter la tâche.

Bon. Tentons d'être pédagogue.

- Heraclès ! M'oblige pas à venir te botter le train à coups de babouches !

C'était un bon début. Dans sa tête. Mais manifestement, ça ne changeait rien à la situation présente. Alors il commença à chercher, retourner tout le palais, pour finalement atterrir dans les jardins, toujours somptueux, toujours impeccable, toujours...

Minute. Il aurait juré voir quelque chose bouger entre les tulipes.

Oh non mon cochon, si t'as touché à mes tulipes, tu vas te prendre une de ces roustes...

Et ce fut à grandes enjambées qu'il se dirigea vers le parterre de fleurs. Sans hésitation. Et l'air très remonté.

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