Då jag kommer måla du en vit slagfält, en vinterkriget. Talvisota.

Je te peindrai alors un champ de bataille blanc, une guerre d'hiver. Talvisota.

▬ Vi kommer deltar inte i detta krig, Berwald.
(Nous ne participerons pas à cette guerre, Berwald)

Les poings du suédois se serrèrent sans vergogne sur eux-mêmes. Ses ongles, bien que courts, s'enfonçaient lentement dans ses paumes, dessinant de jolis croissants de lune rouges vifs dans sa chair.

Pour la première fois de sa longue vie de nation, il maudit le jour où son Roi devint incompétent.

La volonté de protester était forte. Il ne pouvait se résoudre à laisser Tino se faire envahir par la Russie alors qu'il venait d'acquérir fraîchement son indépendance. Pas une fois de plus. Mais Gustave V était envers et contre tout son Roi. Et contester la décision de son Roi n'était pas sans avoir de fâcheuses conséquences politiques, surtout pour la stabilité du pays.

Malgré ce coup en plein cœur, Berwald restait digne. Il était droit, la tête haute, fier face à l'autorité suprême. Aucune émotion ne transparaissait sur son visage si ce n'était cet infâme froncement de sourcils, indigné, et la crispation de sa mâchoire, beaucoup plus nets que d'habitude. Cette idée ne lui plaisait pas. Vraiment pas.
Et la Suède était indignée. Frustrée. En colère. Helsinki venait d'être bombardée. Pour le suédois, c'était une raison suffisante pour instaurer l'état d'urgence et envoyer des troupes en Finlande, peu importe l'indépendance ou non de cet État qui restait tout de même plus qu'étroitement lié au sien.

Il fixait son Roi dans les yeux, persuadé qu'il allait changer d'avis. L'autre aussi le fixait, sans un mot. Il semblait réfléchir.
Il connaissait assez bien la nation pour savoir qu'il n'allait pas se suffire à un ordre de ne pas entrer en guerre officiellement. Berwald avait trop longtemps côtoyé son frère danois, cela ne pouvait être que la seule explication à son obstination.

▬ Men … - Il coula un regard au suédois toujours au garde-à-vous devant lui. Berwald avait revêtu l'uniforme, c'était signe qu'il ne prenait pas la situation à la légère, surtout quand il s'agissait de Tino. - Inget hindrar oss att skicka utrustning och volontärer.
(Mais ... Rien de nous empêche d'envoyer du matériel et des volontaires)

Un gros soupir s'échappa. Son visage de détendit de soulagement. Ses poings se délièrent avec lenteur.
Il ne sentait plus ses doigts. Ni ses paumes.

⁂

La forêt de pins s'étendait à perte de vue. Des pins, encore des pins. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas arpenté le sol aride de Finlande. Les souvenirs du jour où il avait fait sa rencontre refaisaient surface. Cela avait été une journée un peu plus ensoleillée et dégagée que celle-ci, mais la nostalgie était là.

Quelques semaines auparavant, on l'avait autorisé à partir au front. Quelle surprise pour le blond qui avait alors sauté sur l'occasion pour sortir le nouvel uniforme de l'armée suédoise ... qu'on l'obligea à retirer à son arrivée à Helsinki, optant pour la tenue finlandaise, plus adaptée à l'hiver rude qui s'annonçait. Blanche, chapka sur la tête, casque non loin, accroché au sac. Berwald s'en contentait. Le Suède n'était pas en guerre, valait-il mieux que l'on ne sache pas que son pays y prenait part. Quitte à passer pour des finlandais.
Et le front était loin. Si loin dans le Nord que le voyage en train dura une éternité. Un temps que même un jeu de cartes ou un peu de soupe de pois chaude ne pouvait combler.
Berwald n'était, cependant, pas seul. Il avait emmené une centaine de volontaires avec lui, ce genre de gars qui voulait participer au conflit mondial mais dans l'incapacité de le faire par l'armée régulière, officiellement non introduite.

Suède regarda aux alentours. Le silence était toujours maître des lieux. Seuls le bruit des pas et du cliquetis du matériel pouvait troubler la paix de cette forêt. Puis, il reporta son regard sur sa carte et sa boussole.
Ils ne devaient plus être très loin du camp maintenant et l'ennemi n'était pas encore arrivé, du moins, il ne savait pas encore très bien sa position actuelle, juste une approximation. De toute manière, on lui ferait un bref compte rendu de la situation en arrivant.
S'ils arrivaient un jour.

Coup d’œil sur ses troupes. Quelques dizaines de soldats seulement. Le reste avait été « distribué » sur un autre front. A en juger leur état de fatigue et la distance qui les séparait encore du camp finnois, une pause s'imposait.
Il ordonna alors le repos, s'assit sur un tronc non loin et retira ses gants. D'une poche il sortit son paquet de cigarettes et en tira une. De l'autre, il sortit sa boite d’allumettes. Il fallait avouer que ce tabac le calmait. La guerre, c'était dans ses gènes. Son sang bouillonnait à la simple prononciation de ce mot : kriget. Son sang de nation, son sang humain. Et un peu de nicotine n'était pas de refus pour retrouver la plénitude.

Il reporta son regard sur la carte, remontant machinalement ses lunettes. Il était attentif au moindre son, la moindre conversation qu'il pouvait capter quand deux soldats revinrent sur le point où ils se reposaient, un troisième homme à bout de bras.
Interloqué il releva la tête.

Finlandais. Cela ne faisait aucun doute.

Ils l'emmenèrent avec eux. Il était encore vivant, le camp où ils se rendaient avait forcément un médecin avec eux. Au bout de dix minutes, ils reprirent la route. Et ce ne fut qu'après encore deux heures de marche rapide qu'ils arrivèrent au camp.
Des tentes, des tranchées. Paysage de soldats précairement installés pour défendre leur territoire. Et surtout, on pouvait dire qu'ils avaient fait forte impression. Il était clair qu'ils ne dupaient personne avec leurs uniformes finnois, et lui-même ne tromperait pas la Nation.

Berwald montra du pouce le finlandais blessé et inconscient qu'ils avaient transporté comme ils avaient pu. Il lança alors, avec son accent suédois :

▬ Löysimme sen tiellä, olemme poimineet. Tämä on sinun ?
(On a trouvé ça sur la route et on l'a ramassé. C'est à vous ?)

Quelques soldats accoururent, appelant un médecin ou un infirmier au passage.
Le suédois soupira lentement, les laissant à leur effervescence et entra un peu plus dans le camp avant de poser ses affaires contre l'écorce d'un arbre et se diriger vers l'avant, en direction du front. La neige était à moitié fondue mais le ciel laissait présager une nouvelle tombée de flocons pour bientôt.

Doucement, il porta son regard sur la plaine qu'il pouvait apercevoir non loin. La venue des russes sera on ne peut plus visible s'ils viennent de par là-bas. De toute manière ils n'avaient pas le choix.
Les chars passent mal dans une forêt comme celle-ci.

On pouvait entendre derrière lui les quelques rires de soldats qui faisaient connaissance autour d'une bouteille de vodka, précieusement gardée pour les occasions un peu spéciales.
Un autre soupir s'échappa de sa bouche. Baissant le regard, il s'assit, face à la plaine, ressortit son paquet de cigarettes et alluma la prochaine qu'il sortit. Le soleil commençait déjà à se coucher et les volutes de fumée ressemblaient au souffle du canon d'un fusil qui venait de tirer.

Il ferma doucement les yeux et écouta les sons de la plaine enneigée.

Le silence.

Ou des pas lents dans la neige fondue.

He thought of the might he possessed.
And not of his foe.
Rage of winter.

Le paysage monochrome et silencieux de la Finlande avait, à quelque part, un charme sinistre et hostile. La neige glacée s'étendait bien au-delà de l'horizon, sa blancheur seulement entrecoupée par les pins, silhouettes déchirées offrant du relief à un pays qui n'en avait que peu. Et quelque part, plus loin, dans la forêt en face se trouvait l'ennemi.

Tino n'avait pas voulu la guerre. Mais il avait eu encore moins envie de laisser les russes s'installer sur ses terres. Refuser quelque chose à l'URSS de cette façon menait inévitablement à la confrontation. Les demandes de l'ex-empire avaient beau être légitimes, le finlandais n'avait absolument pas eu le cœur à accéder à chacune de ses requêtes, et les potentiels alliés se battaient à présent dans le froid impitoyable de l'hiver. Climat rendant la situation déjà désagréable d'autant plus inconfortable pour les soldats.

Finlande lui-même frissonnait, adossé à son rebord de tranchée, surveillant avec un camarade le moindre mouvement qui puisse se produire devant eux. Ils étaient là depuis le petit matin sans que rien ne se passe, luttant contre la fatigue à coup de nicotine et d'amphétamines. S'endormir à même le sol revenait à choisir le lieu de sa mort. Ou au mieux, on pouvait s'en sortir avec des engelures si quelqu'un ou quelque chose forçait le réveil à temps.

L'autre soldat grommela quelque chose qu'il ne comprit pas - qu'il n'avait pas écouté plutôt, ne s'attendant pas à ce qu'il parle. Ce dernier jeta un coup d’œil la nation, attendant certainement une réponse qui ne vint pas. Il se répéta alors, haussant légèrement la voix.

▬ Pysymme pitkään uudestaan ?
(On va rester pendant encore longtemps ?)

Haussement d'épaules, et chacun reporta son attention plus ou moins vague sur la forêt en vis-à-vis. Non, il ignorait pour combien de temps ils allaient rester moisir ici. Pour ce qu'il avait pu voir de son partenaire de guet, la question tenait plus de la plainte que du simple ronchonnement de celui qui en avait marre. Le regard éteint, dans des yeux rougit par le sommeil et les drogues, soulignés par de lourdes cernes foncées, le visage mal rasé et plus pâle que la normale, noircit de terre par endroits. Les rares véritablement mouvements qu'il exécutait étaient fébriles, le reste n'étant que tremblements irréguliers.

À vrai dire, il tardait aussi à Tino de quitter cette tranchée et d'aller se coucher un moment. Il se doutait bien qu'il devait être dans le même état que l'autre - éventualité peu séduisante en soi.

▬ Martti, Tino !

Les deux se retournèrent. Un troisième soldat accourait vers eux, suivit d'un quatrième.

▬ Ruotsalaiset saapuivat ! He löysivät ja toivat Mikko !
(Les suédois sont arrivés ! Ils ont trouvé et ramené Mikko !)

Ils sautèrent dans la tranchée, les renvoyant au camp alors qu'ils prirent le relais. Les deux hommes ne se firent pas prier, et remontèrent péniblement, fusil en travers du dos, cependant non sans un certain entrain. Les suédois et la réapparition de Mikko étaient deux bonnes nouvelles, et des bonnes nouvelles, ils en avaient besoin pour le moral. Martti courut voir son ami, tandis que la nation alla faire un tour pour voir de ses propres yeux les soldats de son grand voisin géographique.

Il ne vit Berwald nulle part, du moins, pas avec ses hommes. Qu'à cela ne tienne, ça ne l'empêcha pas d'aller rejoindre les troupes qui fêtaient l'arrivée des renforts, dans la limite des moyens à disposition. Il put se faire offrir une gorgée de vodka, servit d'interprète à deux ou trois reprises, étant un des rares finnois suédophones, et resta encore un moment avec eux.

Ce fut quand on vint lui faire remarquer qu'un des suédois se tenait un peu à l'écart qu'il daigna puiser dans ses réserves de force pour se lever et aller voir, certain de savoir dès lors où était passé Suède. Il se devait d'au moins dire god kväll à celui avec qui il avait vécu si longtemps, avant l'empire russe.

Il fit quelque mètres, l'aperçut, et resta un moment sur place à l'observer. Mis à part la fatigue du voyage, il semblait en bonne forme, contrairement à lui qui, pour le coup, cassait pas mal l'image habituelle du mignon petit Tino. Mais il n'en avait rien à faire de ça, attachant peu d'importance à ce dont il avait l'air. Et encore moins à ce que les autres en pensaient, que ce soit Berwald ou n'importe qui d'autre.

Le finlandais finit par s'approcher, et s'assit à côté de lui, sans un mot, les yeux rivés sur la plaine. Il laissa le silence durer un peu, sans que l'un ou l'autre ne bouge, avant de sortir lui aussi une cigarette d'un geste las. Il tira dessus, laissa la fumée faire un tour dans ses poumons avant de la laisser s'échapper dans un soupir.

▬ Tu es venu finalement.

Une pointe de gratitude perçait timidement dans sa voix rauque et épuisée. Ne plus être la seule nation parmi tout ces hommes normaux faisait du bien. Il n'était plus seul au-dessus des autres, statut qu'il n'avait jamais vraiment apprécié.

▬ Demain nous serons le seize décembre. Ça fera vingt-deux ans et dix jours que je ne suis plus à personne.

Sous-entendant par là que ça doit continuer. Il en avait bien l'intention et se fera un plaisir de massacrer et d'humilier la Russie s'il le fallait. Bien que de nature pacifique, Tino avait lui aussi ses accès de violence et Ivan regrettera bien vite de l'avoir sous-estimé.

Il ramena ses jambes à lui et posa la tête sur les genoux, l'air sombre. Et dire que ce qu'il avait vécu depuis le début du mois n'était assurément pas le pire. Tenir bon contre l'URSS était déjà un exploit, c'était David contre Goliath au niveau national.

▬ …Et je suis fatigué, je vais aller dormir.

Il laissa là le suédois. Libre à lui de le suivre s'il en avait envie, ça ne changerait pas grand-chose.

Ce qui changeait par contre, c'est d'être réveillé en sursaut par des coups de feu et de lointains cris. Le jour se levait, et de la forêt venaient soldats et chars russes. Les finlandais s'affairaient, les quelques traînards rejoignant le front en vitesse, dont Tino qui venait d'émerger, encore dans le flou mais néanmoins prêt. Des avions allaient et venaient au-dessus de leurs têtes, quelques hommes malchanceux tombèrent à leur passage.

En voilà une journée qui commençait magnifiquement bien.

Jag skulle alltid vara den som stod bakom dig
Jag skulle alltid svara när du kallade på mig
Jag skulle alltid vara den som vaktade din rygg.
Framtiden är ändå utom räckhåll för oss.

Le calme de la plaine, apaisait le sang chaud qui circulait dans les veines de la nation suédoise. La nicotine aussi faisait son effet.
Laissant son corps dans la plénitude la plus totale, il fixa d'un oeil fatigué l'étendue de neige juste devant lui. Il s'était promis que plus jamais il n'y retournerait. On lui avait fait promettre. Et voilà que la Grande Dame frappait encore à sa porte, allégorie de l'inévitable malgré toute la volonté du monde de s'éloigner de son regard. La Guerre lui offrait le pouvoir d'assouvir son besoin de nation dans le sang, la boue et la sueur. Mais le tribut échangé restait tout de même la pire chose que le suédois pouvait donner. Le propre sang de son peuple. Tout ce qu'il espérait, c'était que les valkyries choisissent le plus de soldats russes possibles à offrir à Odin.

Le suédois fixait les volutes de fumée de tabac et de chaleur qui s'échappaient de ses poumons. C'était dans ce genre de cas qu'il aimait bien être couvert correctement. Et il fallait avouer que les uniformes finlandais étaient particulièrement bien adaptés au climat rude de la saison déjà bien entamée. Tino avait toujours fait la guerre avec son voisin, au Nord ; Berwald, toujours avec son frère du Sud.
Il n'avait plus l'habitude de la neige fondue et de la bouillasse sale comme il pouvait s'en mettre plein le pantalon à rester assis de la sorte.

Il entendit les pas se rapprocher de lui et leva la tête. Ecarquilla les yeux. Malgré la saleté de son visage, sa mine fatiguée et terne, il avait reconnu la Finlande. Min Gud qu'il était mal en point. Détournant le regard, presque gêné d'être, au final, pas arrivé à temps pour préserver un tant soit peu l'image de son ancienne possession, le suédois reporta ses yeux sur la plaine. Et le silence s'installa, lentement.

▬ Tu es venu finalement. - Comme à l'accoutumée, Tino avait brisé le long silence qui pesait sur leurs longues années de cohabitation. -
▬ H'm.

Et le silence reprit son cours. Berwald ne savait jamais quoi répondre à ce que lui disait le finlandais. Que ce soit anodin ou extrêmement important. Par pure habitude ou parce qu'il réfléchissait beaucoup trop sur sa réponse. Mais là, il n'avait pas à réfléchir. Juste à écouter. Ils auraient tout le loisir de se parler plus tard. Il l'écouta parler de son indépendance. Chose qui avait toujours à la fois réjoui le suédois mais qui, au fond, lui susurrait au creux de l'oreille que plus jamais les siècles de Royaume de Suède avec la province de Finlande ne verra le jour. Au final, c'était mieux ainsi. Du moins pour Tino.
Il ne put que répondre un autre "h'm" à sa seconde phrase et continua de regarder la plaine, cigarette à la bouche jusqu'à ce qu'il lui annonce qu'il allait se coucher. Le suédois se retourna, fixant ce dos courbaturé alors qu'il s'éloignait vers sa tente.
Il n'eut pas eu le temps de lui dire hyvää yötä.

Il passa une bonne heure encore, en silence, à observer le terrain. Puis il se leva, épousseta son pantalon et jeta son mégot par terre. Un des soldats suédois qu'il avait amené ici vint le voir, lui demandant où ils devaient installer leurs tentes pour passer la nuit.
Se dirigeant vers le campement, il leur indiqua un emplacement à côté des tentes finnoises.

▬ Jag vill se dig i skyttegravarna och stöd på baksidan. Den andra, vila.
(Je veux en voir dans les tranchées et en soutien à l'arrière. Les autres, reposez-vous.)

Il prit alors soin de monter la sienne avant d'aller chercher quelques informations auprès de finlandais. Il prit son arme, son casque qu'il mit sur sa tête et se dirigea vers les tranchées un peu plus loin dans la plaine et y descendit. D'après la tête que les deux soldats postés faisaient, il était évident que sa descente ici leur avait particulièrement foutu la trouille de leur vie.

▬ Oletko hullu !? Haluatko meidän on sydänkohtaus !?
(T'es fou !? Tu voudrais qu'on ait une crise cardiaque !?)
▬ Anteeksi, fit-il timidement.
(Pardon)

Visiblement sur le qui-vive, il ne retint pas l'insulte finlandaise qui suivi son "désolé" et s'installa à côté d'eux, dans la terre. Berwald reporta son regard sur les deux hommes qui lui proposèrent alors de quoi tenir son immobilité malgré le froid ambiant. De quoi tenir. Cela se résumait à se droguer à des médicaments dont il ne connaissait pas l'origine.
Il les scruta un instant, puis fixa les soldats, puis les pilules. Et les avala sans se poser plus de questions. Après cela, il jugea plus à même de leur poser des questions sur la situation. Même si ce n'était que quelques petites informations, c'était bon à prendre. De toute manière, il prendrait soin de demander à Tino le lendemain, une fois qu'il aura pris un peu de repos.

▬ Mikä on tilanne ? Tiedät venäjän kannat ?
(Quelle est la situation ? Vous connaissez les positions russes ?)

Les deux hommes le dévisagèrent un instant. Puis l'un deux haussa les épaules, l'autre, reporta son regard vers la plaine.

▬ Tiedämme vain, ne eivät ole kaukana edessä. Siinä kaikki.
(On sait seulement qu'ils ne sont pas loin du front. C'est tout.)

Ah. Au final, ils n'en savaient pas plus que lui. Le suédois hocha la tête puis s'installa à leur côté à scruta la plaine. La nuit allait être longue, très longue.

⁂

Comme prévu, il ne se passa rien le temps de la nuit. La plaine était calme. Quelques finlandais avait fait du café, grâce à un peu de gaz en bombonne et une allumette, et en avait proposé aux soldats suédois postés un peu partout dans la crevasse de terre. Berwald avait servi d'interprète lui aussi. Il devait être le seul à parler couramment le finnois, et grâce à qui.
Le vent soufflait un peu, soulevant les faibles flocons qui étaient tombés durant la nuit et qui n'étaient pas encore bien fixés au sol.

Le silence apaisant. Le moteur d'un avion en approche.

Posant son gobelet de café par terre, il leva vivement les yeux au ciel. Il n'était pas encore visible, mais on pouvait très bien entendre les hélices tourner à une vitesse folle en leur direction. Les autres soldats imitèrent la Suède et vivement se remirent en position, d'autres armèrent leurs armes. Le café avait été radical, les muscles étaient à nouveaux chauds et tout le monde gigotaient dans les tranchées. Tous, le regard posé sur le ciel encore grisonnant alors que le bombardier arrivait sur leurs positions.

Sans crier garde, les bombes sifflèrent dans le ciel et s'abattirent sur les positions finlandaises. Pas de place pour la fatigue de la nuit blanche, ni même pour se dégourdir les jambes. Les premières bombes explosaient au sol dans un feu d'artifices de terre et de neige, faisant leurs premières victimes.

Le suédois s'était couché au sol, les lunettes pleines de terre qu'il ne notifia pas, il se releva doucement, regarda autour de lui. Un éclat venait de trancher l'abdomen du finlandais qui lui avait proposé le café. Malgré ses cris plaintifs, il se rua sur lui, appuya sur la plaie béante pour tenter d'arrêter l'hémorragie et appela un infirmier. Plutôt « hurla » après un infirmier qui n'arriva que quelques minutes plus tard. Une fois l'homme pris en charge, s'il n'était pas mort avant, Suède se dépêcha de prendre son fusil pour soutenir les militaires placés un peu plus loin. L'adrénaline avait quelque chose de bon dans ce genre de situation, il fallait l'avouer.
Le coeur battant, il scruta la plaine, le ciel, puis son chargeur. Si des troupes au sol s'approchaient, il avait de quoi les accueillir. Mais des chars russes arrivaient au loin.
Ne notant pas le poisseux de ses mains ni la façon dont il parla, il agrippa un suédois de ses troupes par le col et lui hurla dessus :

▬ Hitta Tino. Säg till honom att vi behöver förstärkningar. Skynda dig !
(Va trouver Tino. Dis-lui qu'on a besoin de renforts. Dépêche-toi !)

Et il le lâcha. Le jeune homme remit son casque et partit vers l'arrière en courant. Tout ce que la Suède espérait c'était qu'il arrive vivant au camp pour prévenir Tino.

⁂

Quelques heures plus tard, le calme revint. Petit à petit. Tout le monde pouvait enfin souffler, enfin... c'était vite dit.
Les infirmiers avaient un travail monstre et les morts se comptaient par dizaines. Aussi bien côté suédois que finlandais, le bilan de cette attaque avait été lourd, surtout vu leurs effectifs réduits sur cette position.

Le suédois s'essuya le visage. Du moins, crut s'essuyer le visage.
Il regarda l'état de ses mains. Le sang, la terre, tout était une sorte de méli-mélo de substances diverses qui devaient aussi tâcher sa figure ainsi que ses lunettes qu'il s'empressa de nettoyer avec ce qui pouvait rester de propre sur son uniforme.
Se fichant éperdument de la façon dont cette bataille l'avait amoché, autant que les blessures superficielles qu'il venait de subir, il enjamba les corps de quelques soldats et chercha du regard le finlandais qui devait se trouver dans les tranchées.
Il ne mit pas longtemps pour le repérer et se dirigea vers lui, posa la main sur son épaule dans un soupir :

▬ T'vas bien ?, s'inquiéta-t-il.

Il le fixa, malgré ses lunettes tâchées, voire fissurées, et lança à nouveau :

▬ T'no. J'veux être inf'rmé d'positions r'sses. Où en est l'situation ici ?

Il s'assit par terre et sortit son paquet de cigarettes, en tira une doucement et lui en proposa.
Dans le quotidien de la guerre, rien de valait mieux qu'un peu de nicotine pour retrouver la plénitude des jours de paix.

Our way will not be easy
It will take us through hardship and pain
We'll not surrender or fail


La nuit avait pourtant été calme. Trop calme même. À quelque part, il s'y attendait, à ce réveil. Réveil qui était loin d'être le plus doux qu'il ait connu durant sa longue vie de nation. Le vacarme était tel qu'il en venait à regretter le temps où ce qui l'éveillait en sursaut se résumait à une horde de Vikings hurleurs et le fracas de leurs armes. Tout aussi effrayants que les bombes certes - où était-ce parce qu'il était si jeune et impressionnable à l'époque ? Mais le dérangeant, avec ces explosifs, c'était qu'on ne pouvait pas deviner où allait s'écraser le prochain. Ils n'étaient pas humains, trop imprévisibles pour que le finlandais puisse prétendre ne pas les redouter.

Il avait assez d'humilité pour accepter la peur qu'il ressentait présentement, bien qu'elle fut masquée soit par l'air de celui pour qui le monde peut s'arrêter sans qu'il en ait quoi que ce soit à faire, ou encore par une pure et légitime colère. Il jugeait avoir le droit de l'être, après tout il passait aux yeux du monde comme la victime, la pauvre proie de la vorace URSS. Non pas que cela lui plaise, au contraire, ça l'agaçait d'autant plus. Le fait de devoir demander de l'aide et du matériel parce que seul il n'y arriverait pas allait aussi dans ce sens, mais il apparaissait que ce fut nécessaire. Le plus simple était donc de concentrer cette colère mêlée de frustration sur les russes. Ivan pouvait bien être irrité par son comportement, Tino l'était bien plus.

Fais pas l'enfant, c'est toi qu'a cherché la merde. Alors, assume. Connard.

▬ Onko mahdollista voittaa ?
(Est-il possible de gagner ?)

Un de ses soldats se tenait derrière lui, alors que la nation avait pris quelques instants à l'écart pour observer ce qu'il se passait, profitant d'une vue d'ensemble, et s'était un peu perdu dans ses pensées. Il se retourna, avant de secouer la tête.

▬ On mahdollista kokeilla.
(Il est possible d'essayer.)

L'autre eut un faible sourire, jeta un coup d’œil vers le front et soupira, les sourcils froncés.

▬ Olemme eläneet pitkään heidän kanssaan. Mutta venäläiset eivät vieläkään ymmärtävät, jotka ovat suomalaiset​​.
(Nous avons vécu longtemps avec eux. Mais les Russes ne comprennent toujours spas qui sont les Finlandais.)

Il n'aurait pas dit mieux, et hocha la tête, encouragé. Le soldat partit, se mêlant à une douzaine d'autres qui couraient aider ceux qui se battaient déjà dans les tranchées. Face à eux, une masse informe de manteaux sombres et de chars qui allait dans leur direction. La grosse bête bolchévique semblait avoir un peu de mal, rampait et pataugeait dans la neige, mais inévitablement, les hommes la représentant avançaient, menaçants. Et dire que la Finlande avait porté le même uniforme, il y a plus de vingts ans. Un frisson dégouté le parcourut, et, après avoir avalé quelques pilules comme trop souvent ces derniers temps, il se hâta de rejoindre les première lignes. Manque de sérieux de ne pas s'y trouver déjà, il se devait d'y remédier rapidement.

Un suédois l'attrapa au tiers du chemin, l'air relativement stressé. Un message de Berwald ? Le finlandais lâcha un grondement exaspéré, et désigna d'un geste large le reste des hommes qui quittaient précipitamment le camp, l'arme à la main et la rage au coeur.

▬ Nej skojar ?! Vi trodde inte.
(Sans blague ?! On pensait que non.)

Un Tino d'humeur tout aussi massacrante que la veille - la fatigue ayant été remplacée par la hargne - et un jeune suédois visiblement mal à l'aise firent le reste du parcours ensemble, se jetant dans le premier espace disponible des tranchées. Des corps gisaient déjà dans le fond de celles-ci, mais les survivants devront attendre que la tempête passe pour espérer être soignés. Finlande se mit immédiatement en position, visa et descendit un de ses adversaires du premier coup. Il y avait quelques excellents tireurs parmi les finnois, et il faisait certainement partie des meilleurs.

La bataille se déroula dans une certaine confusion. Au final, les coups étaient tirés un peu au hasard, de toutes façons ils atteindraient forcément quelque chose dans le tas d'adversaires, tandis que les avions et les chars des russes faisaient des dégâts. L'infanterie, bien moins résistante, posait moins de problèmes et déjà le nombre de leur morts étaient bien plus élevés. Tino grimaça à chaque bombe qu'il entendait, chaque cris et râles parmi ses troupes. Lorsqu'un avion largua un explosif à proximité, il sentit quelque chose de chaud et poisseux lui éclabousser le visage sur le côté droit. Il n'y pensa même pas, tout comme au bras orphelin qui était venu atterrir à ses pieds. Sa vieille politique du chacun pour soi restait là, malgré la solidarité en temps de guerre. Il se trouva néanmoins plus humain que les russes qui n'hésitaient pas à sacrifier leurs propres soldats au passage.

Moins monstrueux que les pauvres fous qui ne savaient même pas pourquoi ils les attaquaient.


⁂

Le silence relatif qui suivit la bataille était simplement horrible. Avant le carnage, il avait été oppressant, mais là, c'était un silence mortel, entrecoupés par de faibles éclats de voix provenant de derrière lui. Tout comme la veille, il se tenait appuyé contre le bord de la tranchée, à l'avant cette fois, fixant d'un regard vide la plaine jonchée de cadavres dont la neige était colorée à de nombreux endroits par un rouge à la teinte funeste. S'il baissait les yeux, il verrait le même spectacle, mais alors que le premier lui procurait une satisfaction féroce, le deuxième lui serrait le coeur à lui en faire mal. On vint bientôt rassembler les corps des soldats autour de lui, alors il put trouver la force d'observer autre chose que les restes de russes en face.

Une main se posa sans prévenir sur son épaule. En temps normal, Tino aurait sursauté, mais il était si blasé qu'il ne sourcilla même pas. Il prit le temps d'examiner son bras droit, ensanglanté, qui picotait désagréablement, mais dont la blessure ne nécessitait pas de soins urgents. Il pouvait remuer les doigts et le mouvoir, donc il fonctionnait. Donc il s'en fichait. Après, tout ce qui compte, c'est d'être en vie.

▬ Ça va.

Il baissa la tête vers Berwald, prit une des cigarettes qu'il lui tendait et s'installa tranquillement en face de lui, réfléchissant rapidement tout en laissant la nicotine le calmer un peu.

▬ Quasi toutes les troupes de la 7ème armée russe, ceux avec qui tu viens de faire connaissance, ont atteint la ligne Mannerheim. Les premières sont arrivées ici il y a maintenant onze jours et viennent régulièrement chercher la bagarre. Les 8, 9, 13 et 14ème sont plus au nord, jusqu'en Laponie.

Il traça rapidement un plan sur le sol aux pieds du suédois.

▬ Nous sommes là, entre le lac Ladoga et le Golfe de Finlande. L'armée de l'Isthme de Carélie. - Le finlandais désigna un point précis, et la direction dans laquelle se trouvait le lac, à l'est. - Au nord de ce lac se trouve le 4ème Corps finlandais. On a mené quelques attaques là-bas contre la 8ème armée, mais on n'a pas réussi à grand-chose, la situation n'est pas vraiment bonne. Quant aux russes, comme dit avant ils sont partout et je n'ai que des rapports très brefs. Au mieux, j'apprends qu'on a repoussé l'adversaire - au pire, ils ont gagné du terrain. Cependant, il y a toujours moins de pertes de notre côté. Ce qui est déjà pas mal en soi.

Il fit une courte pause, avant de reprendre, l'air soucieux.

▬ Notre tâche ici consiste à défendre la ligne Mannerheim. Il ne faut en aucun cas que les soviétiques posent ne serait-ce que le bout de leur semelle au-delà. Je sais que ça va durer et que ce sera difficile. Mais il me semble qu'ils sont mal organisés, et c'est peut-être notre seul espoir de gagner ici. Si on tient le coup, c'est parce que nos tactiques réussissent, et il faut continuer comme ça.

Finlande se leva et scruta la forêt, laissant le temps à Berwald d'assimiler un maximum de ces infos. Bien qu'incomplètes, il espéra qu'elles lui suffiraient. De toutes façons, la situation était fragile dans l'ensemble et il fallait simplement repousser les bolchéviques.

▬ J'te donnerai plus de détails plus tard, tu veux bien ? …Que dirais-tu d'aller manger ? On va mettre en place les prochaines actions en même temps.

Il remonta de la tranchée et s'étira. Les plans étaient semblables aux plats de la cantine. Ils n'étaient jamais très variés et simples, mais étaient le plus souvent une réussite tout comme on n'est pas sensé louper une soupe aux pois. Tino espéra tout de même que ça conviendrait à la Suède - autant la mission que le repas. Comme s'il avait vraiment le choix, après tout.


1 - 2

Tänk om vi skulle vakna utan läppar
Med hela munnen fylld av jord bakom tungan inga ord
Tänk om jag skulle vakna vara farlig med hela munnen fylld av blod
Jag bet min tunga när du log

La fumée de tabac s'échappait lentement de ses poumons. S'il avait eu un réservoir à nicotine ou à sédatif, le suédois aurait été le plus heureux des hommes. Son cœur battait toujours autant la chamade. Son pouls était toujours aussi rapide, la vitesse à laquelle son sang circulait dans ses veines et ses artères dessinant un trajet sans fin : cœur – poumons – cœur – corps – cœur – poumons … Il ne pouvait entendre que ça. Écouter le silence de la plaine était une chose dont il allait devoir s'habituer. Écouter les battements de son cœur ou son souffle irréguliers pendant les batailles était déjà ce à quoi il était habitué.

Le feu de sa cigarette reculait un peu plus vers sa bouche, rougeoyant, et laissait sur son chemin les cendres mortes de la défaite.

Son regard fatigué se porta sur la Finlande, puis sur les schémas qu'il lui dessinait allégrement sur la terre poisseuse de sang et de neige fondue. Pendant un bref instant, le temps de ses explications, il l'écouta. En silence. Le suédois avait toujours été d'une conversation quasi inexistante... comparé à celle de son frère danois. Il fallait dire que si on compare tout le temps les extrêmes, il ne fallait pas s'étonner qu'on dise que le danois est une grande gueule et que l'autre était d'un silence incroyable.

Et c'était avec un silence religieux qu'il écoutait Tino l'informer sur les dernière position russes connues. Berwald avait, cependant, pris soin de retirer ses lunettes. Par chance elles se n'étaient pas cassé, mais la terre l'empêchait de voir correctement les positions que le finlandais lui montrait du doigt. Ce n'était pas qu'il ne voyait pas sans lunettes. Non, il voyait très bien sans. Il avait juste du mal à voir de loin. Et les traits tracés dans la terre étaient suffisamment nets et proches de lui pour qu'il puisse en comprendre le sens sans qu'il n'ait à coller son nez juste au dessus.

Une fois les informations assimilées, le suédois leva les yeux vers la Finlande et se leva à son tour. La bataille avait laissé plus de dégâts sur la nature environnante que sur le moral des hommes qui s'empressaient d'évacuer les blesser et les morts des tranchées.

▬ J'te donnerai plus de détails plus tard, tu veux bien ? …Que dirais-tu d'aller manger ? On va mettre en place les prochaines actions en même temps.

Il leva les yeux vers lui et acquiesça. Après la bonne riposte que les russes venaient de subir, il était évident qu'ils pouvaient prendre un peu de repos avant d'essayer à nouveau d'attaquer le camp finnois. Ivan ne devait surement pas s'attendre à ce que la Suède elle-même se retrouve sur le champ de bataille. Berwald était loin du pleurnicheur qu'était le Danemark. Il était capable de cacher au plus profond de lui-même et sous un masque d'impassibilité, la douleur qu'on lui faisait subir, et ce, en n'importe quelles circonstances. Qu'il s'agisse de Tino ou non.

Il suivit son ancienne possession vers la tente principale. Sur le chemin, il aida un peu à ranger et déblayer le matériel et surtout à soigner les plus blessés. Lui, avec sa joue à peine ouverte de quelques centimètres et ses ecchymoses, pouvait attendre. Il fallait que tout soit prêt, dans l'immédiat. Au cas où on les attaquerait pendant qu'ils mangeraient.

⁂

Il ne fallu pas bien longtemps pour que tout le monde se retrouve devant son bol de soupe de pois, bien épaisse, avec les grumeaux en cadeau. La bouffe précaire, Berwald était habitué, les autres suédois aussi. Et en temps de guerre, il n'y avait pas intérêt à jouer les tapettes. Tu prends ce que t'as. Du moment que t'as un peu de vodka pour faire passer le goût, comme les islandais avec leur requin fumé.

La tension était à nouveau retombée dans le camp. Se retrouver autour d'un plat chaud, bien qu'immonde, avait égayé un peu plus le cœur des soldats, un peu plus celui de la nation. Si le moral était au beau fixe, le sien aussi, et inversement. Non pas que le suédois se mettrait à sourire, ce n'était pas son genre. Mais on pouvait apercevoir un temps soit peu, esquissé au milieu de sa mâchoire parcourue d'une barbe naissante peu visible, un léger rictus amusé devant la bêtise de ses soldats une fois que la vodka coulait dans leur sang.

Les chansons paillardes fusaient, bien que chacun de comprenait pas forcément les paroles, qu'elles soient finnoises ou suédoises, les blagues grivoises aussi. Être entre hommes comme ça... ça lui avait manqué. Plus d'un siècle sans guerre, un siècle à refouler son sang de nation qui bouillait dans ses veines. Non vraiment. Cela le rendrait presque... euphorique.

La guerre, c'est mal. C'était ce que disaient les politiques actuels. Mais la guerre, c'était la raison de vivre de chaque nation. Une nation était là pour taper sur une autre. La nature de l'Homme était telle que n'importe quelle prétexte était avancé pour sortir les armes. C'était d'ailleurs ce que le suédois avait fait en demandant à son Roi de porter secours à la Finlande. Tant pis si ce n'était pas officiel.

Il but entièrement sa soupe. La chaleur commençait doucement à diffuser dans son corps alors qu'il tourna la tête vers le finlandais. Il ouvrit la bouche, voulant lui demander comment il allait mentalement quand il fut abordé par un suédois et un finlandais, voulant visiblement traduction :

▬ Kysyn, jos hän haluaa mennä saunaan pesemään.
(Je lui demandais s'il voulait aller au sauna pour se laver)
▬ Den frågar om du vill gå till bastun.
(Il te demande si tu veux aller au sauna)

La tête du suédois fit un bug. Haussant les sourcils, il fixa le jeune finlandais qu'il avait traduit.

▬ Olet asentanut sauna ? Täällä ?
(Vous avez installé un sauna ? Ici ?)

Le jeune homme acquiesça, sourire aux lèvres. Berwald quant à lui, le regardait d'un air perplexe. L'idée même qu'ils aient installé un sauna en pleine forêt et surtout en temps de guerre l'étonnait presque. Je dis bien presque. Les idées de Tino l'avaient toujours impressionné, aussi débiles soient-elles. Mais là, cela relevait du génie.

Doucement, il tourna la tête vers la Finlande. Le fixant doucement, sans air méchant ni regard noir (il n'était pas en face du Danemark non plus), il posa sa main sur son épaule et lui demanda :

▬ T'veux y aller ?

Il se leva de table, remis sa chapska sur la tête. Dehors, il commençait à faire froid. N'attendant pas de réponse de sa part (sa question était plus un « je te préviens que je vais au sauna, toi, tu fais ce que tu veux après tout » qu'une réelle demande de le suivre), il se dirigea dehors et suivit les quelques soldats qui avaient décidé de se décrasser un peu pour une fois. L'odeur de mâle, on s'y habitue, mais à forte dose, la supporter devenait difficile et la dernière fois que Berwald s'était lavé (en dehors d'un rasage vite fait bien fait) remontait à leur départ de Stockholm, trois semaines auparavant.

⁂

Arrivé devant le lopin de bois, sorte de chalet de rondins qu'ils avaient précairement installés, Suède intima aux autres suédois de leur expédition lavage, d'imiter les finlandais et de se déshabiller dehors. Pas de place pour les lopettes. Les saunas à la finnoise c'était « tu te déshabilles dehors et t'y vas à poil ». Pas trop pudique le suédois, du moins maintenant, il laissa ses affaires dehors et entra dans la cabane, s'installa sur une planche, dans son coin et attendit. La vapeur ambiante lui réchauffait agréablement les extrémités un peu bleuies par le froid rude du nord de la Finlande.
Il regardait, presque d'un air amusé, les autres suédois qui, pour la première fois, connurent le mode de vie finnois et laissait transparaitre leur étonnement par de grands yeux écarquillés et la bouche grande ouverte.

Tout de ce que Berwald espérait maintenant, c'était qu'il se fasse un temps soit peu soigner, du moins pour sa joue à la plaie béante et qu'il n'allait pas servir de traducteur le temps de transpirer un peu.

Here we had built our cottages and saunas
From the swamp we have shovelled our fields
Nobody can take it away from us
Not for free, and that's for sure

Entendre les hommes reprendre du courage et de la bonne humeur lors du repas réchauffa le coeur de Tino, plus que la soupe peu appétissante qui fumait dans le plat primaire en équilibre sur ses genoux. Non pas que le repas ne lui convenait pas; s'il se rendait compte de la qualité de la nourriture de chez lui, il se vanterait de son appareil digestif surhumain à être capable d'ingérer des choses à l'aspect bourbeux et toxique sans broncher. En Finlande, peu de choses avaient changé au cours des siècles.

Nation primaire, moeurs primaires, il s'adaptait sans jamais chercher à devenir autre chose que lui-même. Ne pas changer, une motivation qui l'avait entre autre poussé à tout quitter, à laisser derrière lui la Suède afin de ne pas se consumer au profit de la langue et de la culture de son voisin, ainsi qu'à s'écarter de la Russie. Le Finnois s'était attaché à l'autonomie et passer de l'un à l'autre ne lui avait que peu plu, surtout après avoir passé des années à faire office de récompense et de raison de guerre entre ces deux-là.

Aujourd'hui, il pouvait se rendre compte lequel le respectait le plus, lui, ses envies et ses ambitions, lequel s'était fait une raison et ne comptait pas lui taper davantage sur les nerfs, et la gueule. Berwald, assis à côté, en train de siroter sa soupe, impassible comme à son habitude mais l'air à peu près heureux. Tino le connaissait assez, du moins le pensait-il, pour se dire ça. Il n'en disait rien, mais du fait de sa présence et de son soutien, il était reconnaissant envers le Suédois.

Un léger sourire étira ses lèvres alors qu'il levait les yeux vers ce dernier, quand deux hommes vinrent à sa rencontre. Le Finlandais écouta sans piper mot, amusé par la réaction de son vieil ami lorsqu'il apprit l'existence d'un sauna dans cet endroit désolé et coupé du monde. Eh oui, pour se nettoyer et se relaxer, il avait jugé utile que ses troupes en installent un peu à 'écart.

▬ T'veux y aller ?

La question l'amusa. La réponse était, à part à de rares occasions que lui-même ne saurait pas citer si on le lui demandait, essentiellement positive. Son regard suivit Berwald qui avait décidé de s'y rendre, tandis qu'il finissait sa purée de pois liquide. Oh, il se lèverai et irai le rejoindre, mais seulement après avoir passé encore un peu de temps avec ses soldats. On le laissa reprendre un morceau de pain très frais dont la croûte recouverte d'une fine couche de glace les amusa un instant (en revanche, cela amusa un peu moins ses dents) et finir une demi-bouteille de vodka puis, accompagné de deux autres hommes, il sortit afin de se rendre au sauna.


⁂

Les habits, pliés et jetés derrière un tas de pierre, ne cachaient plus rien du corps des courageux ayant osé se livrer nus à la morsure du froid. Tino put constater sans grand enthousiasme un amaigrissement forcé et que les blessures et ecchymoses s'étaient multipliées, pour lui-même comme pour le reste des troupes. La guerre laissait toujours des séquelles. Ce n'était pas sa première bataille et ce ne serait peut-être pas la dernière. Il avait entendu un jour Danemark et Suède considérer la guerre comme leur raison de vivre. La Finlande n'étant pas une nation guerrière ou belliqueuse, rejoindre le point de vue des ex-Vikings lui était difficile. Exister, n'était-ce pas une raison de vivre suffisante ?

Enfin. Ce genre de réflexion ne le mènerait à rien sinon à assombrir son humeur et il pensa, non sans raison, qu'il valait mieux ne pas se couler tout seul. D'autres s'en chargeront à sa place, pour le moment il s'agissait de ne pas resté planté les pieds dans la neige et d'entrer dans le sauna, lieu de détente et tout le tralala, suivant les règles scandinaves et surtout finlandaises. Bien que dès qu'il y pensa, il se dit que boire avant un sauna n'était pas recommandé. Tant pis.

Des têtes se tournèrent dès que les trois nouveaux franchirent la porte, puis chacun retourna à sa conversation avec ses voisins. Ce n'était pas bien grand, loin de là, mais c'était suffisant pour une dizaine de personnes. Un rapide coup d'oeil suffit à Finlande pour deviner par leur attitude qui était suédois et qui était finnois, les premiers semblant moins à l'aise que les seconds. Il alla s'installer auprès de l'autre Nation dans l'angle, ayant une parfaite vue d'ensemble bien qu'observer les autres ne l'intéressait pas plus que ça.

Un duo de finlandais vint l'interpeller avant qu'il n'aie le temps de se reposer.

▬ Onko mahdollista hakea rauduskoivu ?
(On peut aller chercher du bouleau ?)

Tino cligna des yeux, déconcerté par la demande. Enfin, pas par la demande en elle-même, mais parce qu'il ne voyait pas pourquoi ils avaient besoin de le lui demander. D'un coup il comprit, et acquiesça avec un sourire en coin.

▬ Tietenkin. - Il tourna la tête vers Berwald. - Toivottavasti se ei pelota ruotsiksi.
(Bien sûr. J'espère que ça ne fera pas peur aux suédois.)

Ses soldats hochèrent la tête et sortirent quelques minutes durant lesquelles il se détendit pleinement, les yeux fermés, profitant au maximum de la chaleur, cependant pas aussi élevée que ce dont il avait l'habitude. En même temps, ce n'était qu'une cabane perdue dans les bois sur un champ de bataille, il n'y avait donc pas à faire la fine bouche. La porte s'ouvrit à nouveau et on fit passer des rameaux avec lesquels, sous les yeux ahuris des suédois, leurs camarades commencèrent à se fouetter - légèrement, je précise, il s'agit ici de sauna et non pas de séance SM - suivant leur tradition afin de faciliter encore la circulation sanguine. Le sauna finnois en aura toujours étonné plus d'un de par ses pratiques particulières mais Dieu sait combien c'est bon pour la santé.


⁂

Une fois de retour au camp, on envoya les soldats faire un petit somme, tandis que les Nations se rendirent auprès des généraux pour organiser la suite des réjouissances actuelles. Au passage, ils s'arrêtèrent vers les médecins pour enfin panser leurs blessures. Berwald se retrouva avec une grosse compresse sur la joue, tandis que le Finnois eu droit à un bandage pour son bras. Et une cicatrice en plus, une. Dire que jusqu'au début du siècle, il n'en avait quasiment pas, mais avec sa guerre civile lors de la Grande Guerre voire même avant et celle qui se déroulait actuellement, sans compter les batailles qui allaient suivre…Bah, il aura tout le loisir de les compter une fois que ce sera terminé. S'il s'en sortait, évidemment.

Il était pleinement conscient qu'ils manquaient de stratégies vraiment élaborées et certaines tactiques qu'ils employaient n'étaient que peu conventionnelles, mais pourquoi compliquer les choses si leur façon de faire marchait très bien ? C'était comme à avoir à choisir entre une bière et une vodka : si le but était de se prendre une cuite, ça n'avait pas d'importance.

▬ Le plus gros problème, ce sont les chars. On n'a qu'à les saboter.

Dit comme ça, ça paraissait bien facile. C'était tout con, mais ce fut l'idée la plus simple qui lui vint à l'esprit à ce moment-là. Il attendit la réponse des autres, leur approbation ou leur contestation, et éventuellement des propositions pour mener à bien cette mission.

I found my home there,
which is a foreign country.

La douce chaleur diffusée par les pierres chauffées au milieu de la pièce précaire dans laquelle ils étaient tous installés laissait répandre une sensation de bien-être vivement recherché par les articulations endolories de chacun des soldats. La morsure du froid faisait des ravages et qu’on soit nation ou pas, elle avait le même effet sur leur corps. C’était ce que pouvait constater Berwald de son regard vide et circulaire sur la chair meurtrie des soldats. Des engelures, des tremblements. Même un peu de chaleur ne semblait guérir les troupes de leurs maux, bien que les suédois aient un peu moins de cœur à supporter le vent glacé de dehors que les finlandais ci-présents. Mais la Suède pouvait constater une disparité entre ses soldats qu’il reconnaissait au premier coup d’œil par leur gène apparente de la nudité de tout le monde. Certains étaient jeunes de la ville, d’autres, fermiers plus au nord, habitués à travailler à l’extérieur. Il était évident que chacun n’était pas égal face à ce genre de conditions extrêmes et ce n’était pas les plaintes des jeunes qui allaient lui faire penser le contraire.

La porte s’ouvrit et le froid de l’extérieur ne troubla en aucun cas la vapeur de confort qui enveloppait l’air environnant. Trois autres personnes arrivèrent, dont la Finlande. La nation que Berwald aurait eu du mal à reconnaitre si on ne lui avait pas montré son visage. Car il put constater non sans une certaines horreur que la guerre eut plus d’effet sur Tino qu’il ne l’avait pensé. La seule pensée de Tino devenant aussi meurtri que lui était si sidérante qu’il fronça les sourcils, le suivant du regard alors qu’il s’installait à sa place. Pendant des siècles il avait fait en sorte que la Finlande ne reçoive aucune blessure de guerre, pour le préserver en quelque sorte. Mais entre la guerre civile dont il avait eu vent et cette guerre-ci, Berwald ne pouvait rien y faire. Il serait forcé de vivre avec l’idée qu’il n’a pas su le garder à l’arrière. Cependant, c’était la guerre, et il était indépendant. Le suédois se devait de se plier à l’idée que Tino y laisse un bras. Il détourna le regard. Non. Il n’osait pas regarder le corps amaigri de son ancienne possession. Honte ou gêne, cela n’avait pas d’importance. Berwald s’en voulait, en quelque sorte.

Bras détendus entre ses cuisses, la Suède releva la tête et ferma les yeux, le temps de profiter de cet instant de repos pour faire le vide dans son esprit et l’apaiser. C’était ce que qu’il avait toujours fait au sauna. Il focalisa son attention sur une respiration lente et régulière. Faire le vide demandait de la maitrise de ses poumons, au calme. Aussi, il n’entendit pas les deux finlandais arriver près d’eux. Il ne put entendre que leur demande. Du bouleau ? Le suédois ouvrit un œil et fixa l’un de deux finlandais sans vraiment penser à quoique ce soit. Puis, quand la Finlande leur donna l’autorisation – ce qui n’était pas très utile si on prenait en compte les mœurs en Finlande. Il était tout à fait naturel de se fouetter avec des branches pour améliorer la circulation du sang – . C’était bon pour la santé. Pas forcément pour l’image que se ferait les autres suédois de leur voisins.

▬ Toivottavasti se ei pelota ruotsiksi.
(Bien sûr. J'espère que ça ne fera pas peur aux suédois.)

Son regard se porta sur le sourire en coin de Tino. Amusé à l’idée même de voir la tête de ses soldats devant le spectacle, il lui répondit :

▬ Tämä pelottaa häntä mielestäni. Ja olen myös sitä mieltä, että jotkut haluavat kokeilla.
(Cela leur fera peur je pense. Et je pense aussi que certains vont vouloir essayer.)

Il pensait notamment aux fermiers et autres hommes rustres et virils du fin fond de la Suède, dont le mode de vie irait très bien avec les traditions primaires de Finlande.

Et le suédois ne s’était pas trompé. C’était non sans esquisser un rictus amusé qu’il observait la scène. Les finlandais se fouettant d’un côté, les suédois effrayés de l’autre. Et au milieu, un finlandais apprenant à un suédois à comment bien se fouetter. – Comme dit au post précédent, ce n’était pas une séance SM, loin de là – Berwald attrapa une branche et fit comme la Finlande. Habitué à ce genre de pratiques, c’était pour lui tout à fait naturel que d’utiliser ce qu’on avait à portée de main pour soulager les douleurs.

⁂

Une fois propre et rasé – en prenant soin de ne pas aggraver la blessure sur sa joue, il envoya ses soldats dans leur tente pour qu’ils profitent de ces instants de silence dans la forêt pour se reposer de leur journée. Puis, avec la Finlande, il se rendit tout d’abord par la case médecin qui lui rapprocha les deux bords de la plaie par des adhésifs médicaux avant de recouvrir le tout d’une compresse. Il avait l’air beau tien. Les deux nations, une fois remises sur pied, se rendirent dans la tente des généraux pour décider de la tactique à mettre en place.

Les plus hauts gradés accueillirent la Suède dans une bonne poignée de mains et un bon verre de vodka. Berwald s’étonna alors qu’ils ne l’eurent pas demandé plutôt, à son arrivée par exemple, pour décider d’un plan en cas de bataille. S’il y avait eu des pertes ce matin, c’était bien parce que personne n’était préparé et que rien n’avait été mis en place jusqu’à présent.

Ils se penchèrent tous sur une carte de la région alors que Tino montrait les positions ennemies en l’écoutant. Certes, le sabotage c’était facile à dire. Et Berwald connaissait très bien la Finlande. Il attendait qu’on discute de sa proposition, qu’on ne fonce pas tête baissée dans la boucherie. Le suédois fixa la hiérarchie qui semblait réfléchir à l’idée.

▬ Venäjän puolella paljon se on sinne aamulla, voimme nahda jotain.
(Le camp russe est loin, il faudrait s'y rendre pour le matin, qu'on y voit quelque chose.)
▬ En ole samaa mieltä. Mene sinne yöllä on parempi. Se vain puhaltaa tankkeja kranaateilla. Se ei ole raskasta, ja helposti kuljetettava. Riittää, kun laittaa sisälle ajoneuvoja.
(Je ne suis pas d'accord. Y aller de nuit, c'est mieux. On aura qu'à faire exploser les chars avec des grenades. C'est pas lourd, et facilement transportable. Il suffira de les mettre à l'intérieur des véhicules.)

Ils discutèrent un moment de la sorte pendant que le suédois fixait la carte avec attention. L’idée de Tino avait été retenue à l’unanimité. De toute manière, ce n’était pas comme s’ils n’avait pas d’autre idée à proposer ces généraux-là.

▬ Jää päättää, kuinka monta miestä lähetetään.
(Reste à décider combien d'hommes on envoie.)

La Suède releva la tête. S’il y avait des hommes à envoyer, c’était les siens. Les finlandais avait assez donné pour l’instant et il était conscient que son peuple avait besoin d’aller tâter du russe d’un peu plus près pour se venger du mal fait sur leur ancienne province.

▬ Mine ovat vähemmän uhanalaisia kuin Tino, menen heidän kanssaan. Anna minulle niiden tarkka sijainti.
(Les miens sont moins épuisés que ceux de Tino, j'irai avec eux. Donnez-moi juste leur position exacte.)

Les supérieurs se regardèrent avec perplexité et finirent par acquiescer. S’ils pouvaient envoyer du suédois à la place de leur peuple, il était évident qu’ils préféraient cette solution, quand bien même les intentions suédoises étaient les mêmes, mais dites de façon plus noble.

Berwald sortit de la tente et attendit que la Finlande ressorte :

▬ Essaye de t'reposer pendant ce temps.

Il lui tourna le dos et rejoignit ses affaires. Avec tout ça, il n’avait pas encore monté sa tente. Tant pis. Il prit sa couverture, se dirigea prêt d’un arbre et s’installa. Il dormira à la belle étoile. L’heure était au repos et non au confort. Il posa ses lunettes près de ce qui lui servait d’oreiller, régla son réveil et ferma les yeux. La façon dont il avait annoncé qu’il prendrait en main leur mission ressemblait à une sorte de sacrifice, mais il n’en était rien. De toute manière, si Tino voulait venir lui prêter main forte, il serait toujours le bienvenu.

⁂

La sonnerie stridente du réveil le sorti de sa somnolence. Il n’avait pas réussi à fermer l’œil et s’était contenté de somnoler. Dans un soupir profond il se redressa, passa une main dans ses cheveux. Frigorifié, il se releva, mis ses lunettes et rangea ses affaires dans son sac. A partir de là, il prit soin de sélectionner les suédois les plus disponible pour mener à bien leur mission. Il en réveilla cinq et les fit s’équiper avant de leur expliquer la situation. Tous, baillant, acquiescèrent aux paroles de leur nation qui leur montrait du doigt les positions ennemies.

▬ Vi flyttar till pärm. Jag vill inte ha ett enda ord, inte ett enda ljud. Något skitsnack eller vi är alla döda. Jag är tillräckligt tydlig ?
(Nous évoluerons à couvert. Je ne veux pas un seul mot, pas un seul bruit. Pas de conneries ou nous sommes tous morts. Je suis assez clair ?)

Pour sûr qu’il était on ne peut plus clair. Il les fixa un instant avant de donner le signal du départ. Tout ce que Berwald espérait seulement c’est qu’ils arriveraient à ne pas être trop fatigués pour réussir leur rôle et à respecter les consignes. Si leur mission échouait et qu’ils se faisaient repérer de quelque manière que ce soit, c’était la mort assurée. Pour tout le monde.

Berwald n'avait jamais été très expressif, mais au cours des siècles, Tino avait appris à percevoir et interpréter chaque petit changement sur le visage du suédois. Un tressaillement, un froncement furtif de sourcils, une crispation de la mâchoire, une ombre qui passait dans son regard. Bien entendu, il ne pouvait pas se vanter de tout savoir à quoi son ami pensait, ce n'était qu'une question d'habitude, bien qu'avec sa maladresse habituelle en matière de social - ce n'était vraiment pas le point fort des nordiques - et son manque d'attention sans compter le fait qu'il évitait souvent de regarder les gens en face, il ne se retrouvait que peu souvent à analyser les réactions de l'autre.

Or, à ce moment-là, après être rentré dans la tente des généraux, le finlandais s'était aperçu que son manque de savoir-faire à la guerre était flagrant pour Berwald. Ah, ce malaise quand on sait qu'on a fait des fautes mais qu'on ne sait pas vraiment lesquelles et que du coup, on ne pourra pas y remédier. Mais après avoir proposé son idée et après réflexion, il se dit que lorsque le suédois, lui, proposait quelque chose, il ne l'annonçait pas au petit bonheur la chance et que quelqu'un développe son idée à sa place. Mais c'était comme ça. Tino était bon soldat, mais mauvais dirigeant. Enfin, dirigeant sans expérience plutôt. Heureusement, ça avait l'air de convenir tout de même, vu que les hauts gradés se mirent à discuter de la manière de faire qui conviendrait le mieux. Du coup, il resta silencieux, attendant de voir ce que ça allait donner.

▬ Mine ovat vähemmän uhanalaisia kuin Tino, menen heidän kanssaan. Anna minulle niiden tarkka sijainti.
(Les miens sont moins épuisés que ceux de Tino, j'irai avec eux. Donnez-moi juste leur position exacte.)

Finlande voulut protester, mais il n'en fit rien. Premièrement, parce que c'était vrai. Deuxièmement, Berwald devait être parmi les personnes les plus bornées sur Terre, du moins parmi celles qu'il connaissait. Si en plus on prenait en compte l'affection particulière dont faisait preuve le grand blond vis-à-vis de son ancienne province, les chances de lui laisser tout le boulot tombaient plus bas que le zéro. Et donc, puisque c'était décidé, il ne put que sortir à la suite de ce dernier, qui lui demanda d'aller prendre du repos.

▬ ...Joo, myöhemmin.
(Ouais, à plus tard.)

Le suédois partit de son côté, le laissant seul. Bon. Il valait mieux suivre son conseil et essayer d'aller dormir un peu avant de partir. Car oui, il n'allait pas non plus se reposer sur lui une nouvelle fois, et il y avait cette envie d'aller zigouiller du russkov qui le démangeait. Noooon, il n'était pas violent, il avait simplement par moment envie de lui arracher les tripes et de l'étrangler avec. Mais ça ne se faisait pas, alors autant se venger sur le menu fretin. Tant qu'à rêver, Tino enverrait bien quelques trolls de chez lui leur prêter main-forte. Sérieux, ils existaient, et ce n'étaient pas de mignons Moomins ! Mais personne ne voulait le croire. Enfin. Le temps d'abandonner toutes ces pensées divagantes, il était arrivé à sa tente, dans laquelle il se glissa et s'écroula comme une masse, ce qui ne lui arrivait quasi jamais. À part quand il avait trop forcé sur la bouteille. Sauf que là, il n'avait eu qu'un verre.


***

Skis aux pieds, un petit groupe de finnois patientaient, guettant l'autre côté de la plaine. Dans l'obscurité et à cette distance, on ne pouvait pas distinguer les chars ennemis, cibles du soir, mais on pouvait deviner à peu près où ils se trouvaient. Attentifs, ils se partageaient une cigarette, que Tino finit par écraser dans la neige. À ce moment-là, des ombres quittèrent leur camp, et les quatre finlandais les suivirent, se firent remarquer assez tôt pour ne pas les surprendre et les accompagnèrent jusqu'au camp adverse.

▬ Ne ovat erityisesti koulutetut sabotaasi. - Finlande informa rapidement son homologue suédois, même s'il n'avait rien demandé - On toinenkin ryhmä, joka hyökkää toisen puolen.
(Ils sont spécialement entraînés pour le sabotage. Il y a un autre groupe, qui attaquera l'autre côté.)

Puis il replongea dans son silence, alors qu'ils se rapprochaient de là où étaient garés les chars. Lentement, avec précaution, le groupe se plaça à proximité, se gardant de faire trop de bruit en se déplaçant, e une fois qu'ils furent assez prêts, Finlande leur fit signe de se rapprocher.

▬ Kuuntele minua. Kaikki lähtee kanssa kranaatteja, tai pulloja, tai mitä on käsillä. Ei paskaa. Teet mitä voit räjähtää, sitten löysää nopeasti.
(Écoutez-moi bien. Chacun va partir avec ses grenades, ou ses bouteilles, ou ce que vous avez sous la main. Pas de conneries. Vous faites exploser ce que vous pouvez, ensuite dégagez en vitesse.)

Il le répéta en suédois pour les autres et c'est comme ça que chaque soldat partit de son côté, Nations comprises. Ça faisait dix personnes, et ils espéraient être dix à revenir au camp.

La suite, tout se passa très vite. Tino, de son côté, fouilla dans sa sacoche, en retira deux grenades, et prit une longue inspiration. Ça pourrait se passer comme dans un film : le héros dégaine ses armes, il va aller au ralentit attaquer l'ennemi et en l'occurrence, larguer un explosif dans un maximum de chars, et tous feront mouche, et il ne restera plus rien à éliminer. Sauf qu'actuellement, il faudrait patienter encore quelques décennies pour ce genre de cinéma d'action, qu'il pouvait parfaitement se louper et qu'à défaut de vraiment mourir, il pouvait avoir très, très mal. Enfin. Quand faut y aller, faut y aller. Et il y alla.

Dégoupiller, fourrer l'infernal instrument là où il causerait le plus de dégâts à l'engin de guerre, et recommencer ça autant qu'il pouvait, en un minimum de temps. Ici et là, il perçut d'autres explosions, et les cris des russes qui se réveillaient en sursaut, tentant de comprendre ce qui se passait dans ce vacarme sans nom. Les pièces de ferraille volaient, fusaient au-dessus de la tête de Finlande qui se déplaçait plié en deux. Non pas de rire, mais bien pour éviter de se prendre un morceau de métal brûlant dans le crâne. Et quand les hommes du camp adverses se mirent à bouger enfin, il fila, loin, à l'abri. Là où sa tenue blanche le rendra invisible dans la neige, derrière une butte, un bout de buisson, n'importe. Loin.

Un de ses hommes vint le rejoindre le dos en sang, mais apparemment c'était superficiel. Tino voulut bien le croire, vu qu'il parvenait à se mouvoir, puis ils attendirent avec anxiété l'arrivée des autres, avant de tressaillir en entendant des éclats de voix suivit de brusques coups de feu. Ça, c'était pas bon. Les finnois se mordirent la lèvre, désolés pour celui qui s'était fait attraper. Les russes étaient constamment remplis de vodka, vu qu'il fallait les rendre assez inconscient pour qu'ils acceptent d'aller au front en Finlande. Et de ce fait, il était peu probable qu'ils épargnent qui que ce soit, privés d'empathie en plus des ordres qu'on leur donnait.

Et une petite minute après, Finlande aperçut deux autres ombres ramper un peu plus loin. Reconnaissant une des silhouettes, il alla les rejoindre, inquiet.

▬ Berwald, tu n'as rien ? Il s'est passé quoi ?

Il chuchotait précipitamment, gardant un œil sur les russes qui vociféraient et juraient en constatant rapidement les dégâts qu'ils leur avaient fait. Mais les Finnois et leurs alliés se réjouiront plutôt lorsqu'ils auront calculé leur taux de réussite par rapport à leurs pertes.

Mukana naulat ja lautaa niistä leposijan saa
Sata on Seilissä hautaa ja satoja vielä kaivetaan

Un petit vent glacé balayait la plaine soulevant en volute de flocons, la neige qui s’étendait en un tapis blanc et vierge de tout pas humains. Il devait être à peu près 4h du matin, et la température devait afficher les -20°C. Il ne pouvait pas le vérifier à proprement parler, mais les thermorécepteurs situés sous sa peau indiquaient clairement à son corps que « bon sang on se les gèle ». Ce n’était pas comme s’il n’avait jamais connu ce genre de froid, loin de là mais l’équipement suédois était bien moins adapté pour le froid polaire que celui des finlandais, aussi se félicita-t-il d’avoir eu la tenue complète spéciale grand froid et blanche que l’armée finnoise proposait. Ils n’avaient cependant pas eu de ski, c’était réservé aux gens du peuple, mais les bottes fourrées leur convenaient très bien.

Ils marchèrent un petit moment avant qu’on ne les interpelle. Des soldats à ski, justement, venaient les rejoindre. Sans même se demander de quelle nationalité ils étaient, le suédois reconnu tout de suite Tino, en tête de la troupe. Il leva la main, fit signe aux suédois de s’arrêter et attendit. Un petit soupir s’échappa de sa bouche. Le finlandais n’en faisait décidemment qu’à sa tête et malgré toute la volonté du monde que Berwald pouvait mettre pour l’empêcher d’aller au combat et de se blesser, il ne pouvait lutter contre le caractère têtu de la Finlande.

▬ Ne ovat erityisesti koulutetut sabotaasi. On toinenkin ryhmä, joka hyökkää toisen puolen.
(Ils sont spécialement entraînés pour le sabotage. Il y a un autre groupe, qui attaquera l'autre côté.)

Bien calculé. Il écouta la nation expliquer comment ils allaient procéder, en finnois tout d’abord, puis en suédois. Malgré ce que toutes les autres nations pouvaient penser de la Finlande, et toutes les fois où la Suède l’avait mis en dehors des conflits, Berwald ne pouvait nier l’évidence. Il ne devait être qu’un acteur mineur dans cette guerre d’hiver. Apporter ses conseils et expériences si longuement gagnées dans des guerres sans réel but que d’engrosser son égo et son territoire, c’était tout ce qu’il se devait de faire. Aider au conflit oui, en faire un conflit suédo-russe à la 1809, non. De toute manière, s'il y avait bien quelqu'un de qualifié pour mobiliser et connaître le terrain, c'était le finlandais. Il le laissa faire, donna quelques instructions supplémentaires en traduisant en finnois par la suite. Il n'avait pas compris pourquoi il avait parlé de bouteilles mais il se doutait bien que ce n'était pas pour la picole (quoique, il savait ce peuple assez porté sur la bouteille). Il n'avait que des grenades, aussi les suédois utiliseraient leurs grenades.

Ils se séparèrent en deux groupes équivalent, mélangeant suédois et finlandais et partirent dans des directions opposées, laissant les skis des finlandais dans un endroit caché de tous. Sous leur manteau blanc et leur cagoule cachant le moindre souffle, la moindre respiration, le groupe mené par Berwald partit au sud du camp russe. A son emplacement. Comme indiqué par l'état-major finnois.

De là, tout allait aussi vite que l'attaque du matin. La vengeance allait être terrible. Attendant le signal du suédois, les hommes se postèrent au raz de la neige, derrière des buissons, peu importe leur cachette, du moment qu'ils pouvaient se garder loin de la vue des russkov. Sa blessure à la joue le démangeait. Le caillot coagulé devait se craqueler sous le froid ambiant et rouvrir la plaie qui dessinait un halo rouge à nouveau visible sur la compresse pourtant bien épaisse. Berwald baissa la main lorsque la ronde des guetteurs les menaient loin des chars qu'ils gardaient si précieusement. Les grenades étaient dégoupillées, les bouteilles lancées, en flamme, sur les points faibles des chars. Le suédois sortit de sa cachette, tentant de garder un oeil sur la progéniture finnoise et suédoise alors qu'il grimpait sur un blindé et faisait exploser une grenade à l'intérieur. L'attaque ne dura qu'une quinzaine de minutes durant lesquelles les grenades pleuvaient sur le camp russe, ce qui était suffisant à la vue du nombre d'hommes qui se trouvaient là. Il hurla à la retraire. Puis il vit un de ses hommes tomber, abbattu dans le dos. Connards de russes. Tuer dans le dos était lâche, mais la guerre était la guerre, et tous les coups étaient permis. Il empoigna son fusil et riposta, le russe tomba sous un hurlement de douleur, touché en plein poumon avec une balle perforante. Mais la contre riposte ne se fit pas attendre, la Suède se reçu une rafale qu'il n'esquiva qu'en partie. Il n'était pas habitué aux armes à feu, il était plus facile pour d'éviter des coups de hache que ces petits trucs de 5 cm allant à plus de 150 km/h. Il s'en reçu trois, une frôla sa tempe qui se mis à saigner abondemmant, une autre sur son flanc, la dernière à l'épaule. Serrant les dents sous la douleur, il n'eut pas le temps de récupérer le corps de son camarade et il disparut dans les bois, se coucha dans la neige, une fois dans la plaine, attendant que cela se calme.

Il observa alors les environs, tout étaient calme. Oubliant la douleur, du moins pour l'instant, il écouta. Il entendit des russes parler, s'étonner des dégâts qu'ils avaient subits, et un suédois clamer la pitié. Berwald écarquilla les yeux. L'homme tenta de parler, de sauver sa peau mais en temps de guerre, la solution était tuer ou être tué. Il entendit un autre de ses hommes se faire débusquer. Le cliquetis de la détente ne se fit pas attendre, ils allaient mourir. Ses derniers mots, l'un des suédois le souffla de tout son coeur :

▬ HÄRLIGNET TILL SVERIGE ! HÄRLIGNET TILL HITLER !
(GLOIRE A LA SUEDE ! GLOIRE A HITLER !)

Le coup partit. Il n'entendit pas le corps tomber. Berwald resta un moment, totalement immobile dans le glacé de la neige alors que le sang coulant de sa plaie au flanc réchauffait son abdomen. Il essuya le sang sur sa tempe, cela ne servait à rien mais c'était gênant. Mais rien de tout cela, pas même la douleur physique ne pouvait dépasser la douleur psychologique qu'il venait de subir. Il était tout simplement... déçu de son peuple.

⁂

Il se retourna et fit la rencontre d'un finlandais qui avait réussi à échapper à l'attaque. Sur les six qu'ils étaient, ils ne restait plus qu'eux deux. Il en profita pour lui demander où était le finlandais qui était avec lui. Le finlandais lui répondu qu'il s'était fait abbattre en tentant de se battre au corps à corps avec un russkov. Le suédois soupira. Au moins, lui, il n'avait pas limite crié un « Heil Hitler » avant de mourir.

Cette phrase qu'il avait entendue ne cessait de passer en boucle dans sa tête alors qu'ils rejoignaient, en rampant, l'endroit où ils avaient laissés leurs ski. La déception était là, même si son visage ne montrait rien.Oh, il savait qu'il y avait des pro-nazi en Suède mais de là à défendre la Finlande, à partir au front, juste parce que la Russie était ennemie de l'Allemagne, il ne pouvait le croire. Qu'espéraient-ils sinon une sorte de gloire personnelle sans décoration militaire. Ils n'allaient jamais avoir la Croix de Fer de toute manière. Il s'était pris à penser que les volontaires qui l'avaient suivi en Finlande étaient là pour la simple raison que défendre une ancienne province était une sorte de devoir qu'ils se devaient d'accomplir, il avait pensé que quelques hommes allaient penser au delà de ce que pouvait bien dire ou faire le gouvernement. Mais la désillusion était dure. Très dure.

Ils retrouvèrent Tino, sain et sauf, presque invisible dans la neige, contrairement au suédois qui laissait des trainées rouges çà-et-là sur le manteau blanc neigeux.

▬ Berwald, tu n'as rien ? Il s'est passé quoi ?

Il le regarda un instant. Silencieux. Il était certain que son trouble intérieur était aussi invisible que sa tenue sur la glace. Il réfléchit, ne sachant pas comment lui avouer qu'il venait de se prendre le coup dans le coeur du siècle. Se disant qu'il lui en parlerait plus tard, ou peut-être pas, cela dépendra s'il pose la question, il décida de se focaliser sur la couche externe de l'iceberg.

▬ J'des égratignures, c'est tout. J'perdu deux suédois, deux finlandais mais on a sans doute réussi à saboter trois ou quatre blindés. Tu me donneras tes résultats au camp, on s'en va.

Il se doutait que Tino réussirait à trouver ce qui ne va pas chez lui, mais se garda bien de montrer le moindre signe de douleur interieure comme extérieure. Le silence pouvait se faire entendre dans la plaine, aussi se redressa-t-il, bien difficilement et empoigna les bâtons et les skis d'un des finlandais mort dans la bataille. Sans un mot et par sa position, il donnait l'ordre de rentrer. Il attendit que tout le monde soit prêt, se tenant le flanc de son bras peu valide par l'éraflure d'épaule et fit le chemin inverse.

Une vraie torture.

⁂

Il ne dit rien de tout le trajet, souffrant en silence et ne répondant pas aux questions qu'on pouvait lui poser comme « est-ce que tout va bien ? Tu perds du sang tu sais. » Et autre. Quand ils arrivèrent au camp, quelques hommes étaient réveillés. Se demandant d'où ils pouvaient venir et où étaient certains des hommes tombés au combat, le suédois ne fit que tapoter l'épaules de ceux qui se demandaient pourquoi ils n'avaient pas été choisi pour la mission. Tino était mieux en point que lui, il pouvait expliquer. Il allait vers ses affaires et en sorti une bouteille de vodka. Il avait besoin de boire. Il fallait qu'il encaisse le coup. La main toujours posée sur son flanc, il la regarda un instant. Il réussissait à contenir un peu l'hémorragie, mais la balle était encore là, déchiquetant un peu plus la chair présente autour d'elle. Sans s'en rendre compte, le suédois transpirait. La douleur était insupportable, même après des siècles de guerre et des blessures beaucoup plus sérieuses. Même avec l'habitude, on ne pouvait s'accoutumer à la douleur.

Il se saoula un peu, buvant l'alcool pur et se rendit dans la tente des généraux sans passer par la case tente médicale, sans toucher les soins dont il avait besoin de toute urgence. S'appuyant sur le rebord de la table, suant à grosses gouttes malgré le froid de l'air, il fit son compte rendu.

Lorsqu'il finit, il s'enfonça dans le silence, laissant l'alcool l'aider à encaisser ce coup fatal.

Mais quelle était la pire des douleurs ? Le fait d'avoir une balle dans les boyaux ou se rendre compte que son peuple contenait des individus aussi méprisables que l'homme qui leur avait mis ces idées barbares dans la tête ?

Il hocha la tête. Ce fut sa seule réaction à l'annonce de la mort des hommes qui les accompagnaient, étaient encore parmi eux il y a peu. Que pouvait-il faire de plus ? Il n'allait pas pleurer pour chaque soldat tombé au combat quand même. Il eut simplement une petite pensée pour eux, leurs amis leur rendront un meilleur hommage que lui. Il était un tantinet plus concerné par les blessures de la Nation suédoise, mais si ce dernier prétendait n'avoir que des égratignures, eh bien Tino n'ira pas chercher plus loin. Du moins, pas dans l'immédiat. Il emboîta en silence le pas à Berwald quand ce dernier reprit le chemin du camp, laissant derrière lui le théâtre de la brève bataille qu'ils avaient mené.

L'Homme aimait la guerre. De tout temps, il s'était battu, que ce soit pour des territoires, des biens, des raisons plus rattachées au spirituel, des valeurs, peu importe. Et parmi les Hommes, il y en avait qui les provoquaient, ces conflits. Nul besoin de citer les acteurs de la Seconde Guerre, tout le monde connaît leur noms. Mais c'était pour eux, pour leur idées que les armées partaient au combat - et parfois même, ils parvenaient à rallier des étrangers à leur cause. Le Suédois en avait fait la douloureuse constatation, mais cela, le Finnois l'ignorait.

Et s'il avait su ? Il aurait été incapable de lui dire quoi que ce soit. Tino avait ce petit quelque chose de différent qui faisait que si, en l'occurrence, un de ses hommes déclarait combattre pour Hitler, il aurait simplement haussé les épaules, l'air de dire « Écoute, mon gars, tu peux te battre pour ce type, pour une vodka, pour t'amuser ou pour le Père Noël, j'en ai pas grand-chose à faire tant que tu te bats ». Ça ne l'affectait pas plus que ça, en somme. Mais il n'était pas non plus incapable de comprendre pourquoi d'autres souffriraient de telles révélations.


⁂

Quelques silhouettes rendues floues par le brouillard matinal vinrent à leur rencontre dès qu'ils arrivèrent au camp. Il y eu quelques échanges de paroles, des explications rapides. On raconta qui était parti pour la mission, qui n'en était pas revenu. À nouveau, Finlande se retrouva à traduire ce que certains voulaient dire à ceux qui ne parlaient pas la même langue - cela dit, il n'eut que peu à faire, étant donné que dans la situation présente, il n'y avait pas grand-chose à dire. Mais il suffit de ces quelques secondes où on détourna son attention pour que la Suède ne s'éclipse. Peut-être était-ce par habitude de le seconder, mais en ces temps de conflits, il aimait bien l'avoir au moins dans son champ de vision. Cette présence plus...expérimentée ? le rassurait en quelque sortes. Enfin, tant pis, il n'avait aucune raison valable de rester collé à sa semelle. De plus, cette fois-ci, c'était sa guerre.

Une fois que les hommes se dispersèrent à nouveau, certains allant se recoucher tandis que d'autres se préparaient pour cette nouvelle journée, Tino se rendit dans sa tente, et après avoir un peu nettoyé ses affaires, les rangea, avant de prendre une petite pause assise dans la neige. Il sortit une cigarette d'une de ses poches et fuma tranquillement, le regard rivé sur la cime des pins qui occupaient les alentours.

Il ne pensait à rien. Vraiment à rien. Les grandes et longues réflexions n'étaient pas sa tasse de thé - d'ailleurs, il préférait de loin le café. De toutes évidences, c'était beaucoup moins fatiguant d'observer la fumée de sa clope sans rien se dire d'autre que « Tiens, c'est joli comme ça fait ». Se déconnecter quelques instants de la réalité faisait beaucoup de bien, mais comme toutes les bonnes choses ont une fin, le mégot se retrouva bientôt à gésir dans la neige et le Finnois, lui, à aller faire son rapport auprès des généraux.

Là-bas, il retrouva Berwald, assis devant une table, et les quelques commandants du détachement. À qui il fit part des événements survenus les heures précédentes.

▬ On compte dans notre troupe cinq morts et des blessés légers ou moyens, qui sont certainement allés se faire soigner. Concernant notre réussite...À raison de deux ou trois blindés détruits par personne, je dirais entre vingt et trente véhicules rendus inutilisables. Tämä on tyydyttävä. (C'est satisfaisant.)

Ceci fait, il laissa ses supérieurs discuter entre eux, et son regard revint sur le Suédois à côté. C'est alors qu'enfin, il vit nettement que ça n'allait pas aussi bien qu'il l'avait dit. Il s'approcha, un peu inquiet. Il connaissait le côté borné de son vieil ami, et bien que Finlande ne soit pas non plus du genre à courir à l'infirmerie dès qu'il se faisait une coupure (il faudrait même qu'il perde une jambe pour se dire que peut-être, aller voir quelqu'un serait une bonne idée) il n'était pas question de le laisser comme ça.

▬ Berwald, va te faire soigner. Ça pourrait s'aggraver. - Il marqua une petite pause, les mains sur les hanches. L'autorité, il ne connaissait pas trop non, mais il saurait s'arranger. - Sinon, c'est moi qui vais te porter là-bas.

Soulever les nonante kilos de muscle suédois ne présentait aucune difficulté à ses yeux. D'ailleurs, il se dit que c'était dommage que cette force naturelle ne puisse lui être d'aucune utilité à l'échelle de deux armées se battant, sinon il aurait depuis longtemps renvoyé Russie chez lui en lui ayant noué sa Kalashnikov autour du cou - dans le cas où il se montrait encore gentil.

Et pour revenir à Suède, il lui semblait bien que quelque chose lui échappait encore, sans qu'il ne parvienne à mettre le doigt dessus. De toutes manières, nombreuses étaient les choses que Tino ignorait ou ne parvenait pas à prendre conscience, au choix. Il fit encore un pas, posant une main sur l'épaule valide du grand blond, et lui adressant un faible sourire un peu maladroit qui se voulait amical. On fait ce qu'on peut quand on est socialement maladroit et qu'on vit des moments durs. Ils avaient encore quelques combats à mener ensemble, et puis, il espérait également réussir à se montrer assez reconnaissant envers Berwald qui n'avait rien à faire dans cette histoire à la base et était venu tout de même l'aider.

I feel the fire flare alight inside me higher so I can see
Fire, return my joy cos I'm so tired, tired of me
Inspire the weary eyed to see the ire and irony.

Une goutte de sueur coula de sa tempe à sa joue et alla disparaitre dans le tissu de son col. Il n’allait pas bien. Mais il survivait. Il n’avait pas trop le choix. Le fait même de souffrir pour une autre nation avait, de toute manière, toujours été un choix. Son choix. Et s’agissant de Tino, Berwald était capable de subir les sept plaies d’Egypte et d’y résister. Le destin était bien ingrat que de permettre aux nations de ressentir la douleur. Cette chaleur, brûlante et transcendante qu’était celle d’une balle implantée au plus profond de sa chair et qui le déchirait un peu plus à chaque fois que sa cage thoracique se soulevait et laissait échapper un souffle chaud et humide.

Être neutre depuis 1814 n’apportait pas que du bon.

Le suédois n’était pas habitué aux guerres industrielles. La technologie au service de la Mort. Il ne comprenait pas ce qu’il y avait de si innovateur. Lui, avait toujours préféré se réfugier dans une cabane perdue au fond d’un bois dans le Norrbotten, près de la frontière finnoise. Il avait toujours vu cet endroit comme une échappatoire à ses responsabilités, ce qui n’était pas plus mal pour le moral. Pas vraiment pour le physique. La Suède n’avait jamais vraiment physiquement changée depuis quelques siècles, mais sa capacité à supporter la douleur d’une balle, bien que nouvelle sensation, fût quelque chose dont il se serait bien passé.

Il porta son regard sur la Finlande quand celui-ci lui adressa la parole. Se faire soigner ? Pourquoi pas. S’ils avaient de la bonne vodka pour lui faire digérer le coup moral qu’il venait de subir.
Il ne lui répondit que par un petit « hum » approbateur mais pas très motivé. Il reporta ses yeux sur sa plaie qui tâchait d’un rouge vif ses vêtements plus tout à fait blancs. Il se leva de son tabouret, lentement. La douleur était quasi insupportable mais il fallait cependant bien vivre avec pour l’instant. Titubant un peu, et s’appuya contre l’épaule finlandaise. Tino allait devoir l’aider s’il ne voulait pas d’un autre suédois hors service par le mélange alcool-blessure.

Berwald marcha lentement jusque la tente du médecin. Il avait voulu absolument marcher et rester ne serait-ce qu’un peu digne. Là était son entêtement naturel. Et Tino ne pouvait rien y faire, qu’importe ce qu’il avait bien pu lui dire ou lui proposer de le porter entièrement. Le suédois était gentil, mais il avait un tant soit peu de fierté.

Ils arrivèrent au bout de quelques minutes et se fit prendre en charge parmi les quelques blessés qui étaient eux-aussi, revenu de la mission de sabotage nocturne. Un infirmier l’allongea sur un lit en toile et lui ouvrit son uniforme. Un frisson le parcouru. Le froid réussissait à passer par l’entrebâillement de l’entrée de la tente, balayant la chaleur qu’il avait conservé jusque-là, d’un coup de brise fraiche. Mais le suédois ne s’en plaignait pas. Le souffle court et profond, il laissa le médecin l’examiner quelques minutes avant qu’il ne lui demande :

▬ Mitä on tapahtunut ?
(Que s’est-il passé ?)

Berwald ne répondit pas. Il s’avait qu’il allait être examiné sous toutes les coutures. Quel était l’intérêt d’ouvrir la bouche dans ces moments-là ? Vraiment. Pensant qu’il ne parlait justement pas le finnois, le médecin ordonna, sans tenir compte de l’avis de la Suède, qu’on lui apporte tout ce dont il avait besoin pour extraire la balle de son flanc. Ce que l’infirmier ne tarda pas à amener.

Le suédois observait la scène d’un œil brumeux sans vraiment comprendre la totalité des mots qu’il avait employé ni les instructions qu’il avait donné à l’infirmier qui l’assistait. Il ne savait pas non plus si Tino était resté ou était parti, ce n’était pas sa préoccupation première.

On lui tendit une bouteille de vodka qu'il prit volontiers et dont il vida de la moitié de son contenu. Pour supporter la douleur, mieux valait se souler. C’était plus sain.

⁂

L'opération, bien que bénigne, se passa sans encombre sous les quelques faibles hurlements étouffés du suédois. Il n’était pas un surhomme. Supporter la douleur était un domaine dans lequel il avait eu toujours un peu de mal, et cette première expérience était plus que bienvenue comme étant la dernière. Ce qui n’allait certainement pas être le cas à son grand désespoir. Mais il avait survécu. C’était l’essentiel.

On lui avait mis une compresse imbibée d’alcool sur le flanc, serrée sous des bandages solides, empêchant ainsi toute hémorragie de se perpétrer. Quant au suédois, avec tout l’alcool qu’il avait bu et compte tenu du facteur « degré d’alcool » de la vodka, il s’était endormi. On avait retiré ses lunettes qu’on lui mit à côté de sa tête. Pas de retour au combat pour lui. Du moins pour l’instant. La Suède était K.O. Mais pas pour trop longtemps.

⁂

Le conseil général fut réuni un peu plus tard, en début d’après-midi. Une missive venant d’un camp à quelques dizaines de kilomètres plus au Sud-Ouest était arrivée. Les russes projetaient d’attaquer le camp le lendemain. C’était l’information qu’ils avaient pu décrypter depuis leur poste radio depuis qu’ils avaient réussi à décoder le langage russe en morse.

Assis autour de la table, les officiers discutèrent, d’une façon très animée il fallait l’avouer. L’un deux s’écria :

▬ On välttämätöntä tukemaan kantoja. Ei ole väliä missä hän on.Lähetä jotkut miehet siellä, olen varma, että se tekee eron.
(Il faut absolument défendre nos positions. Peu importe l’endroit où elle se trouve. Envoyons quelques hommes là-bas, je suis persuadé que cela fera la différence.)

▬ Riski menettää asemaamme hyväksi muiden edessä ei ole riskikannattaa ottaa. Kaikki mitä voimme tehdä ja lähettää kymmenen miestä ja upseeri. – rétorqua un second, déjà beaucoup plus calme face à la situation.
(Risquer de perdre notre position au profit de l’autre front n’est pas un risque à prendre. Tout ce que nous pouvons faire et d’envoyer une dizaine d’hommes en plus d’un officier.)

▬ Niin, ja sitten meillä on paljon loukkaantumisia ja taistelun muutama päivä sitten. Tee siirto ei ole hyvä idea. Olen samaa mieltä Paavalin. - ajouta un dernier.
(Oui, et puis nous avons pas mal de blessés avec la bataille d’il y a quelques jours. Les faire se déplacer n’est pas une bonne idée. Je suis d’accord avec Paavali.)

Tous se mirent d’accord au bout d’une heure de débat durant lequel ils étudièrent un tantinet la situation. Puis, ils firent venir la Finlande, et lui exposèrent la situation. Il n’avait pas vraiment le choix, ils ne lui donnaient aucune échappatoire. Et il devait partir en direction du Sud-Ouest. Dans une heure.

Il avait patiemment accompagné Berwald jusqu'à l'infirmerie, l'aidant du mieux qu'il pouvait alors que le suédois s'entêtait à vouloir se débrouiller un maximum. Non pas que la Finlande n'avait ni de fierté ni d'honneur, mais il ne voyait surtout pas l'intérêt à se montrer réticent face à une aide dont on avait besoin. Il ne comprenait pas, mais soit. Il respectait le choix de son ami et se contenta de le soutenir le long du trajet. Heureusement que la tente des médecins n'était pas loin, car en vérité c'était assez inconfortable de marcher de cette manière. Ça aurait été plus simple de le porter, mais bon, compliquons-nous la vie oui.

Là-bas, Tino retrouva quelques-uns des soldats qui les avaient accompagné auparavant. Il les salua brièvement, les remerciant pour leur aide, tandis que Berwald était prit en charge. Il assista de loin à l'opération, un peu peiné de voir la puissante Suède souffrir de la sorte. Une balle dans le flanc, ça devait faire bien mal. Jamais il n'en avait reçu à cet endroit, plutôt dans les jambes ou les bras, pendant sa guerre civile par exemple. Mais au flanc...Il y avait les organes et ce genre de trucs, quoi. Donc oui, ça devait être d'autant plus douloureux. Dès que ce fut fini, il se rapprocha et le voyant endormi, se permit de lui retirer ses lunettes. Deux-trois mots furent échangés avec le médecin, puis le finnois se retira, lâchant au passage un « repose-toi bien » au suédois.

Une fois à l'extérieur, il alla rejoindre quelques hommes pour partager leur repas - encore cette soupe de pois pleine de grumeaux, quel bonheur mes amis, mais ce n'était pas la Finlande qu'on pouvait rebuter avec quoi que ce soit en matière de nourriture - sans participer à leurs conversations. Il n'avait pas envie de parler pour le moment, se sentant de mauvaise humeur et sujet à envoyer balader quiconque insistait pour le déranger. Heureusement, on respecta son silence et ne se préoccupa pas plus que ça de lui, ce qui était parfait.
Ainsi eut-il tout le loisir de penser à tout et à rien, comme aller jouer au berserker armé d'une bonne vieille hache viking (dans son enfance, il avait plutôt utilisé des lances, mais les haches étaient beaucoup plus efficaces et grâce à sa force, étaient tout autant maniables) ou encore invoquer quelques trolls pour qu'ils aillent faire le ménage parmi les russes. Mais non, le folklore n'avait rien à faire au cours des guerres et ces créatures n'étaient pas là pour participer aux querelles des hommes. Dans un autre monde peut-être, mais pas dans celui-ci. Enfin, on pouvait toujours rêver.

Ses rêveries finirent par tout de même être interrompues, alors qu'on le demandait pour le conseil général. Avec un grognement exaspéré, il termina rapidement son assiette et y alla, où on lui expliqua ce qui avait été décidé. Partir ? « Ok ». Au Sud-Ouest ? « Sans problème ». Dans une heure ? « Fais chier ». Mais il alla se préparer quand même, après tout il n'avait pas le choix et il n'était pas non plus question de prendre des risques en n'allant pas assurer le terrain. Alors même si ça l'emmerdait profondément, c'était quelque chose qu'il fallait faire.


⁂

On lui avait collé une dizaine d'hommes et ils avaient avancé sans problème dans la direction voulue, merci aux skis qui étaient, il fallait l'avouer, un avantage certain pour les déplacement à pied que leurs adversaires n'avaient pas. C'était ces même skis qui leus permettaient de mettre à exécution leurs petites tactiques ayant fait de nombreux morts dans l'armée adverses. Ils appelaient cette façon de faire « motti » et ça marchait très bien. En général. Mais pour le moment, ils devaient défendre, et non pas attaquer.

La route fut plutôt longue, mais le groupe parvint au camp allié le lendemain après une courte nuit. On les accueillit discrètement, tout le monde étant sur le qui-vive en vue de la bataille qui se préparait, et à peine avaient-ils eut le temps de boire un petit quelque chose qu'on leur annonça que ça commençait. Au loin dans la plaine, on pouvait distinguer des ombres noires se détachant sur le manteau clair de la neige qui avançaient.

Des hommes, des véhicules. Qui étaient loin, certes, mais se rapprochaient rapidement. Sans plus attendre, les hommes sautèrent dans les tranchées, fusil à l'épaule, et tirèrent sur l'ennemi. Les finnois étaient redoutables à ce petit jeu de tir au pigeon, un petit nombre d'entre eux pouvait être qualifié de snipers d'élite. Tino en faisait partie, bien qu'il n'avait pas grand-chose à faire de ce genre de titres et se contentait d'exploiter ce talent au maximum.
Mais parfois, être doué ne suffisait pas. Au bout du compte, il y eut un bruit terrible, il se souvint vaguement des combats au couteau dans les tranchées avec les russes qui avaient réussi à survivre jusque-là, et puis, plus rien. Du moins, trop confus, trop de boue, de neige souillée, de sang, de tout.

Mais ils avaient réussi quand même.

Ce fut une des seules choses que Finlande comprit quand on lui en parla, et ça suffisait amplement. Lui, il en avait marre, il voulait juste une bonne bouteille de vodka et dormir de tout son soûl. Qu'on le soigne, qu'on le ramène à son camp, il n'en avait rien à faire. Là, il voulait juste un peu de repos.


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Le retour au camp fut plus long qu'à l'allée. Il y avait quatre hommes en moins, et les survivants se relayaient pour aider les plus amochés d'entre eux à tenir le coup. Faute de moyens, le camp qu'ils venaient de quitter n'avait pas pu s'occuper d'eux, ce à quoi il avaient répondu un « ce n'est pas grave, on va se débrouiller » puis étaient partis, laissant derrière eux quelques tristes traînées de sang. L'un d'entre eux n'eut cependant pas la force de les accompagner jusqu'au bout et ils durent l'achever d'une balle dans la nuque, ne pouvant pas se résoudre à le laisser agoniser dans la souffrance.

Ce furent donc six hommes plus ou moins en vie qui revinrent à leur camp de base, qui lui était resté tranquilles quelques jours, les russes ayant quelques petits soucis de matériel à régler.
Directement, c'était retour à l'infirmerie où on fit le bilan. Tino s'esquiva derrière ses compagnons, qui en avaient certes moins prit dans la gueule, mais qui n'étaient pas aussi "immortels" que lui. Un médecin finit cependant par l'attraper malgré sa réticence, lui qui n'avait jamais aimé qu'on s'occupe de lui comme ça, et avec l'aide de deux autres, le força à se tenir tranquille. Et dire qu'il se disait encore il y a quelques jours que c'était con de refuser l'aide nécessaire à son bien. Mais là, le finnois était bourré, fatigué, énervé, avait le bras gauche démolit, une putain de plaie d'où ses entrailles pouvaient presque sortir et un « enculé de russe » comme il le cracha avec humeur avait jugé drôle de lui donner un coup de couteau dans le crâne, d'où sa migraine atroce.
Si il avait été un humain normal, actuellement on l'aurait déjà enterré. Eh bien ce n'était pas le cas. Alors même si Finlande avait pour le moment un superbe look de zombie, sale, sanglant, les vêtements partant en déliquescence, un début de barbe sauvage et tout le toutim, il était malgré lui en vie.

Bien loin de l'image habituelle qu'il donnait, gentillet, souriant - sourire construit n'ayant pour but que de faire bonne impression, évidemment - et en cette fin du mois de décembre, jouant au Père Noël pour les Nations. Cette année, les autres auront à se débrouiller, le seul Noël qu'il fêtera se passera au camp, ici même.