Il était tard, très tard. Et c'est en plein milieu de la nuit, des ronflements et des phrases incompréhensibles en guise de fond sonore, que Feliciano dormait, plus ou moins paisiblement, aux côtés de son frère.

Pas que son frère prenait de la place dans le lit, qu'il faisait froid ou encore qu'il s'était fait prendre toute la couverture, non non, la seule chose qui semblait perturber le jeune italien semblait être de cause interne. Un cauchemars ? Loin de là, c'était un rêve plutôt sympathique et joyeux en somme, mais aussi et surtout très étrange. C'était le genre de rêve où la notion de logique est inexistante, vraiment inexistante. Un enchevêtrement d'actions et faits tordus mêlant de la plus anodine des choses telle que du poulet à des créatures complètement loufoques telles que des lapin bleus de l'espace ou encore des dodos ramasseurs de chocolat. Quoiqu'il en soit, comme tous ceux qui le précédaient et ceux qui lui succéderaient, son rêve avait l'air très intéressant, tant le représentant de l'Italie du Nord semblait concentré dessus. Son rêve ? Vous vous demandez donc quel genre de rêve est-ce pour qu'il sorte un « Il faut un peu plus de rouge sur les tomates, ve~ » à cette heure-ci ? Eh bien, ce n'est autre que des canards, oui, des canards. Mais pas n'importe lesquels, des canards violets à pois verts ! Quelle faute de goût iraient penser certains – Francis, pour ne citer personne – , il n'en est moins que ces petites créatures sont de véritables artistes nés, eux, et leur professeur de peinture n'est autre que notre cher Feliciano.

Ils étaient dans un parc plutôt tranquille, où il faisait beau et bon, le soleil étant assez présent pour les réchauffer sans les faire mourir de chaud ou transformer les canards en dauphins multicolores – c'est, soit dit en passant, une de leur particularités, fascinant, n'est-ce-pas~ ? –, ce qui aurait été un grand désavantage et aurait freiné leur apprentissage, cela va de soi. L'italien leur avait donné pour modèle des tomates, bien belles et juteuses, pour tester leur niveau. Jusque là, ils s'en sortaient pas trop mal, les cours se déroulaient à merveille pour le plus grand bonheur de notre cher Feli. Il y avait juste Claudin qui, pour la énième fois qu'il refaisait cette peinture, peignait les tomates en orange et bleu. « Il doit sûrement être fait pour le pop art, ve... » finit par conclure Feliciano en mangeant des pâtes avec son nouvel ami Georges, tout en surveillant du coin de l'oeil les toiles de ses apprentis. Oh, Georges, ne le connaissez-vous point ? C'est un petit homme bon comme tout, enfin, un homme... Un lapinocéros, certes, mais un lapinocéros doté d'une grande intelligence. Eh oui, et ne vous avisez jamais d'en douter, ou c'est son ami le Panda, le grand dirigeant de l'entreprise de fromages Pandada, qui vous le fera regretter.

Mais revenons-en aux épisodes inédits de la petite maison dans Amourville, ou du concours annuel de thé, à moins que nous ne parlions d'autre chose... Oh, mais oui ! Les canards peintres ! Eh bien, ils continuaient sagement leurs peintures quand quelque chose vint les interrompre, eux, mais aussi le jeune italien qui n'avait toujours pas fini ses pastas. Mais quelle était cette chose – si mystérieuse que même Sherlock Hamster n'avait réussi à l'identifier – pouvant interrompre ainsi cette scène remplie de joie et de bonne humeur ? Un gargouillement ? Ainsi donc, tout en rêvant de cela, notre cher italien du Nord semblait avoir très faim... à croire que sa triple ration de nourriture ne lui avait pas suffi ce soir là et c'est à son grand dam qu'il abandonna son petit paradis pour redescendre sur terre et se réveiller.

Feliciano se redressa et finit par soupirer un « Ve... » en se rendant compte qu'il faisait encore nuit. Il tenta de se rendormir, impossible. Et les gargouillements se faisant plus longs et forts n'arrangeaient rien à la situation. Que pouvait-il faire à cette heure-ci pour se remplir l'estomac, sachant que les cuisines n'étaient autorisées qu'au personnel de cuisine et ce, pendant les heures de travail ? Pas grand chose. Il tenta d'oublier un moment l'interlude musical que lui jouait son ventre pour réfléchir à un plan. Au bout de quelques minutes de réflexion intense, il sursauta en entendant son frère commencer à ronfler, puis se tourner. Et si il l'aidait ? Romano devait bien avoir une idée lui, non ? Aussitôt pensé, il alla réveiller son frère en lui touchant l'épaule du doigt, rien. Il réessaya, appuyant plus fort avec son doigt et cette fois-ci avec un « Fratello, réveilles-toi, ve... », faisant grogner le principal concerné qui se retourna immédiatement de l'autre côté.

Peut-être que ce n'était pas une si bonne idée après tout, Lovino lui en voudra sûrement de l'avoir réveillé pour si peu, mais il essaya à nouveau, ajoutant un « Fratello... ? » au passage, et quand il vit que son frère commençait à se réveiller, il lui lança le problème à la face, ne sachant trop quoi faire d'autre.

« Fratello, j'ai faim, ve... Tu veux bien m'accompagner à la cuisine ? »

Spoiler:

On pourrait bien se demander ce que les frères Vargas foutaient dans cet internat. Bah oui, en y pensant, ils pouvaient habiter où ils voulaient en Italie, le pays lui-même était leur maison et dormir sous un pont ne feraient même pas d'eux des SDF. Enfin dans un sens oui, mais bon bref, la question n'est pas là, c'est plutôt de savoir pourquoi ils étaient là où ils étaient. L'école, tout ça, avec ses règles à respecter et à suivre, ce genre de truc dont Lovino n'avait vraiment pas grand-chose à faire, et il se retrouvait obligé de s'y plier, alors qu'il pourrait tout aussi bien être en train de récolter tranquillement les tomates de cette année en ce moment. Presque. Pas en ce moment même, vu que là, il dormait à poings fermés. Dodo et à poil, comme d'hab, dans un lit normal et heureusement douillet, posé dans le coin une chambre quelconque qui avait plus une tête de studio, et surtout avec son frère à côté. Autant dire qu'à part le lieu en général, rien ne changeait de la maison, alors quelle importance, au final ?

L'aîné, donc, pionçait et n'avait pour le moment pas la moindre pensée à accorder à cette interrogation dénuée de tout intérêt. Et sans blague, il s'y plaisait, dans ce sommeil, bien qu'il était plutôt ennuyeux. La nuit serait ennuyeuse du coup, mais il n'allait pas s'en plaindre - quoique -, ça pourrait être pire. Genre, il aurait bien pu être insomniaque ou malade ou…Bref, plus mal que ça. Enfin, il y penserait peut-être le lendemain, mais pas maintenant. Les bras de Morphée savaient se faire agréables et confortables alors autant en profiter et surtout, y rester. Un bien brave type, ce Morphée. On raconte qu'il prend la forme des êtres chers aux mortels auxquels il rend visite…Bah. Lovino n'était pas du commun des mortels non plus, et il se passerait d'avoir à subir la présence d'un double des boulets qui l'entouraient et qu'il ado…aim…appréciait. Plus que d'autres en tout cas. Ça ne le concernait pas. D'abord.

Mais, parce qu'il y avait toujours un de ces fichus "mais" à la con dont on se passerait volontiers, quelque chose l'arracha aux étreintes de la divinité grecque - ah mince, l'était grec le type, pas romain…tant pis - et de ce fait, raccourcit considérablement le temps de leur amours nocturnes. Et dire qu'un enfant de cette union pointait le bout de son nez, un de ces malheureux songes avortés que l'on faisait taire avant même qu'ils n'aient pu raconter un morceau de leur histoire. En l'occurrence, ce bébé-là avait tout juste gazouillé à propos d'un énorme taureau à trois têtes faisant une razzia dans les plantations de tomates italiennes, et pouf! s'était envolé. Qui était donc le tyran ayant osé le faire fuir de la sorte, le bannir de son monde pour l'envoyer dans les abîmes de l'oubli ? Un abominaffreux monstre qui appuyait sur l'épaule de Lovino, appartenant à un être encore plus terrible - ou pas.

« Fratello, réveilles-toi, ve... »

Fratello, là, il t'emmerde, t'envoie te faire foutre et te proute, cordialement. Accessoirement, il t'insulte mais Mrs. Langue n'a pas suivit l'idée et c'est un grommellement des plus délicats qui se fait entendre à la place. Mais pourquoi diable Feliciano venait lui faire chier alors que…Que merde, on était au beau milieu de la nuit et que bordel d'enfoiré, il était crevé ?! Quelle plaie, ce petit frère, pour le coup il ne méritait même pas qu'on lui prête attention. Seulement qu'il insista, le bougre de con, et l'ignorer plus longtemps ne pourra en rien arranger les choses, le connaissant. C'est pour cela que Lovi consentit à contre-cœur à ouvrir un œil, le regard encore embué et lourd de sommeil, toujours en maudissant cet imbécile qui avait intérêt à avoir une bonne raison de le réveiller.

« Fratello, j'ai faim, ve... Tu veux bien m'accompagner à la cuisine ? »

…

……

Ouuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuh.

Ô rage.

Ô désespoir.

Douce nuit ruinée par un idiot de premier ordre, par lui et son estomac jamais rassasié. Il ne restait au plus grand plus qu'à pleurer sur le malheur qui l'accablait et à dire adieu à sa tranquillité. Bien sûr il pourrait refuser et essayer de se rendormir. Mais soit le cadet se mettrait à pleurnicher et là, impossible d'avoir le calme, ou soit il irait tout seul et Lovino se retrouvera à culpabiliser pour avoir laissé l'autre trouillon faiblard se balader seul dans les ténèbres des couloirs de l'école. C'est bien pour cela qu'il se redressa aussi, les mains sur le visage qu'il leva au ciel - ou plutôt au plafond, là - en laissant échapper un genre de gémissement furieux de momie n'ayant pas apprécié que son repos éternel soit profané par d'imprudents abrutis.

« …T'as vu l'heure qu'il est, bordel ? »

Bon, peut-être pas. D'ailleurs il ne le savait pas lui-même, mais bon, détail.

« Et Monsieur s'inquiète pour le gouffre qui lui sert de ventre, hein ? Et il se sent obligé de partager sa souffrance ? Je vais t'égorger un jour, pour plus que je t'entende, t'vas voir, putain. »

Il lui jeta un regard de travers, avant de bailler à s'en décrocher la mâchoire. Et, tout en se frottant les yeux rendus humides par ça, il reprit, le ton moins menaçant qu'auparavant mais toujours aussi exaspéré.

« Tu comptes vraiment aller t'infiltrer en cuisine, là ? Si on se fait choper, on est dans la merda et ce sera entièrement de ta faute, toi et ton idée débile. »

Reste que, fatalité, Lovi se rendit compte que lui aussi avait un creux, surtout en pensant aux bons plats qu'il aime manger, leur délicieuse odeur et leur goût exquis, tout ces…Il en bavait rien que de les imaginer. Et du coup, se sentit obligé de malheureusement devoir suivre son frère dans sa quête de grignotage nocturne.
Il jeta le drap au pied du lit, et se leva, d'une démarche quelque peu maladroite.

« De ta faute, hein. Mais dans ce cas, lève ton cul de ce matelas, habilles-toi et on fait ça le plus rapidement possible, capito ? »

Spoiler: